La littérature sous caféine


vendredi 8 juillet 2011

Cloture de la revue de presse ?


Marin de Viry - La littérature française... par college-des-bernardins

Pour clore cette saison 2010-2011, et avant de laisser ce blog en friche pendant deux mois, je reproduis ici quelques extraits du bel article de Marin de Viry (cinq pages), à propos d'Autoportrait du professeur..., dans la Revue des Deux Mondes de cet été :

"Education Nationale : Il faudrait peut-être que quelqu'un fasse quelque chose.

Aymeric Patricot fut d'abord un petit bolide scolaire - HEC, agrégation de lettres modernes - puis devint professeur et enseigna trois ans durant les lettres dans des quartiers "difficiles", doux euphémisme qui désigne ces territoires français aussi dévastés qu'abandonnés. Cet Autoportrait n'est toutefois pas un de ces nombreux ouvrages, à la fois respectables et déprimants, analysant le choc culturel puis psychique ressenti par des professeurs pétris des trésors de la tradition littéraire, brutalement mis face à une salle de sauvageons. Le récit de Patricot relève en effet moins de l'exercice égotiste que d'une réflexion sur les ressorts de l'éducation des classes paupérisées. C'est un bilan prospectif bourré d'intelligence et de sensibilité, dénué de préjugés comme d'illusions lyriques, aussi éloigné du cynisme que de l'irénisme. Je l'ai lu comme un excellent livre politique sur l'éducation, qui allie une grande capacité polémique à un calme charisme de sympathie.

(...) Patricot pointe l'écrasante responsabilité des politiques. Le fatalisme est une politique, le fatalisme est un pouvoir, et il a naturellement des conséquences en chaîne, comme une politique volontariste en aurait. Il faut aimer les conséquences des causes que l'on veut : ne rien faire, c'est lâcher dans la nature des élèves qui deviendront, sous une forme ou une autre, des ennemis de la société.

Cet ouvrage très sain propose aussi une belle réflexion sur l'identité française. Celle du narrateur a été bousculée face à ces classes de jeunes gens très majoritairement noirs de peau, ou d'origine familiale maghrébine. Il médite sur son réflexe identitaire, consistant à coller à ses origines régionales par réaction, ne se satisfait pas ce mezzo termine, cherche une définition de la France compatible avec ce qu'il voit, et finit par s'en tirer par le haut, en appelant à la rescousse son métier qu'il aime, et sa mission pédagogique à remplir. Au fond, se dit-il, les gamins, ils sont en face de lui, ils sont un morceau de la France de demain. C'est comme ça et c'est bien comme ça.

Cela m'a rappelé soeur Emmanuelle voyant arriver de nouveaux enfants pauvres dans son refuge du Caire, s'écriant : "Remercions le Seigner de nous donner toutes ces occasions d'aimer !"

Il faut aimer avoir les bras chargés, par les temps qui courent
."

Plusieurs site et blogs ont également parlé du livre depuis sa sortie.

La terrible Wrath, qui s'est fait une spécialité de la dénonciation des petits arrangements entre amis dans le milieu des lettres, n'a pas lu le livre mais s'intéresse ICI au jeu des passages d'un éditeur à l'autre.

Le site AutreMonde fait un compte-rendu assez complet du livre, ICI , expliquant combien la démarche est salutaire tout en taclant légèrement l'auteur sur un certain esprit de renoncement.

Le Blog de Morlino déclare vouloir voter pour moi si je me présentais à la présidentielle ICI.

Joli compte-rendu, également, sur le site VOUSNOUSILS.

Ainsi que sur le site My Boox, par Lauren Malka.

Bel article, enfin, d'Ariane Charton sur son blog Les Ames sensibles, à lire LA.

lundi 4 juillet 2011

Comment dire la vérité peut détruire une famille (Le chagrin, Lionel Duroy)



Le narrateur du Chagrin ne s’appelle pas Lionel Duroy, mais on comprend vite tout ce qu’il doit à l’auteur. Celui-ci transpose dans ce long roman l’histoire de sa propre famille, telle qu’il l’a vécue lui-même et telle qu’il l’a finalement influencée : car il annonce dès les premiers chapitres que son projet de mettre sur papier ses souffrances d’enfant ballotté dans une famille déstructurée (la mère, très dure, fait payer à ses enfants l’inconséquence d’un père courant après les petits métiers pour rembourser les dettes), lui vaudra une rancœur tenace de la part de ses frères et sœurs, qui ne lui pardonneront jamais d’avoir exposé au grand public de telles blessures.

A la douleur d’avoir vu sa propre enfance fracassée par la misère et le désamour, s’ajoute donc pour Duroy celle de voir ses proches s’éloigner de lui parce qu’il a eu le malheur, non pas d’exagérer ou de déformer la vérité, mais de la dire.

Il ne règle pourtant pas de compte avec sa famille. Il se contente de raconter par le menu les difficultés qu’ils ont traversées, et le livre vaut moins pour le récit, touchant et fort, des aléas familiaux, que pour l’approche de ce mystère douloureux : pourquoi donc exposer la vérité peut-il vous valoir des haines si tenaces ? Pourquoi en vouloir davantage à celui qui parle qu’à celui qui commet des infamies ?

Duroy n’apporte pas de réponse, il se contente de donner la pleine mesure du désastre. Et si le style du livre n’est pas très ambitieux, l’émotion est palpable. C’est un long livre, un très long livre, mais il se lit avec autant de passion qu’on en met à l’écoute des confidences d’un bon ami.

« Bonjour, mon petit, dit-elle. Je t’attendais.
Notre mère tremble légèrement en m’embrassant.
- Maman, je suis venu te voir pour te dire que je vais publier un livre.
- Ah.
- Je voudrais t’expliquer une chose : quand j’étais enfant, puis adolescent, j’ai tout supporté de toi. Je n’avais pas vraiment les moyens de me protéger, ni de me défendre, et papa ne nous a pas beaucoup aidés de ce point de vue. Ca n’a pas été facile, je suppose que tu t’en souviens. Aujourd’hui que je suis un homme, tout cela pèse sur ma vie, et ce livre est salvateur pour moi. Je sais qu’il n’est pas agréable pour toi, c’est un euphémisme, mais je te demande de le supporter comme je t’ai supportée, toi.
- Tes frères et sœurs m’ont dit que c’était une mise à mort.
- C’est en tout cas ce que je retiens de notre enfance. Je pensais qu’ils s’y reconnaîtraient, mais je me suis trompé, alors je vais dire : c’est ce que je retiens de mon enfance. Tu ne le sais pas, je ne te l’ai jamais dit, mais j’essaie d’écrire ce livre depuis bientôt dix ans. Qu’il existe enfin est une victoire pour moi, sur toute la merde dans laquelle nous avons grandi, pardon, dans laquelle j’ai grandi. C’est sans doute idiot, mais je me sens moins abattu et moins humilié maintenant que ce livre est là. Peut-être que je vais pouvoir regarder le monde différemment, je ne sais pas.
- Au prix de notre humiliation. Il paraît que tu nous traînes dans la boue…
- Tu sais, mon vieux, intervient Toto, je ne crois pas que la vengeance ait jamais guéri qui que ce soit de quoi que ce soit.
Il se mord le gras du pouce, tandis que notre mère, les bras croisés, retient l’envie de me sauter au visage, de m’insulter peut-être, parce qu’elle a compris que je n’allais pas céder.
- Réfléchis bien avant de commettre l’irréparable, reprend Toto.
- J’ai bien réfléchi.
- Eh bien en ce cas, mon petit, fais comme tu l’entends, décrète notre mère en se levant.
- Oui, c’est ce que je vais faire. Au revoir, maman.
- Adieu, mon petit.
- Salut, mon vieux. Je ne te dis pas…
- Non, j’ai compris quelle est votre position, papa. Je voulais simplement vous expliquer la mienne.
»

(Le chagrin, Livre de Poche, page 640)

Le terme d’autofiction tombe en désuétude, aujourd’hui, mais je trouve qu’il convient particulièrement bien à ce que réalise Lionel Duroy : l’expérience sur sa propre vie menée par la fiction, dans le sens où les livres rendent compte d’une expérience et métamorphosent à leur tour l’existence de l’auteur. Dans le cas de Duroy, il s’agirait d’une sorte d’autofiction sacrificielle…