La littérature sous caféine


jeudi 18 octobre 2007

C'est bon, la méchanceté ! (Giesbert, Chirac, Royal et les autres)



Quel bonheur de se vider la tête en dévorant un livre politique bien méchant. Le livre de Franz-Olivier Giesbert, La Tragédie du Président (Flammarion, 2006), remplit cette fonction. Le style n’en est pas très élaboré, mais les piques fusent de toutes parts, et ce feux croisé des vannes entre hommes politiques est un régal. L’auteur n’a même plus à esquinter les hommes dont il fait le portrait, il laisse parler les autres (quoi qu’il descende allègrement Villepin, Balladur, Blondel et quelques autres) (épargnant au passage Sarkozy)…

Florilège :

Sarkozy, sur Chirac, à Jean-Luc Lagardère : « On croit que Jacques Chirac est très con et très gentil. En fait, il est très intelligent et très méchant. » (p156)

Balladur sur Villepin : « Ce pauvre garçon, ce n’est vraiment pas une lumière. Un excité qui fait son faraud et ne se mouche pas du coude. Avec ça, pas un grain de bon sens. Quand je pense que Chirac en est réduit à utiliser des gens comme ça, franchement, j’ai de la peine pour lui. » ( p200)

Mitterrand sur Le Pen : « C’est la droite à visage découvert. L’autre avance masquée, comprenez-vous. Bien entendu, il s’appuie sur des forces maléfiques et flatte les sentiments xénophobes mais il n’est pas nazi ni fasciste pour deux sous. Je l’ai bien connu sous la IVè République. C’était un parlementaire très doué, président de groupe à 27 ans, toujours assoiffé de reconnaissance. Observez comme il est ému quand on lui serre la main. Un homme comme ça, on le calme avec un maroquin. » (p302)

Chirac sur Sarkozy : « « Nicolas est fou, complètement fou. » Le ministre de l’Intérieur n’est pas en reste, qui décrit le chef de l’Etat, selon les jours, comme un « trouillard », un « fourbe » ou un « vieillard carbonisé » ». (p323)

(Je profite d'ailleurs de ce billet pour lancer un appel : depuis quelques temps je suis intrigué par une phrase de Chirac, qui aurait un jour lancé : "Ils ne vont quand même pas nous faire le coup de Plic et Ploc !" Quelqu'un comprendrait-il l'allusion ?)

En comparaison, le livre de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin sur Ségolène Royal, La Femme Fatale (Albin Michel, 2007), pourtant présenté comme un brûlot, est plutôt pauvre en méchancetés.

Extraits :

« Nicolas Sarkozy, qui la regarde se débattre dans l’adversité, juge dans une formule d’un machisme exquis : « Elle n’est pas outillée. » » (p142)

« DSK ne cache pas son mépris à ses proches : « Elle est nulle ! Elle n’imprime pas. Mitterrand ne connaissait rien en la matière mais, au moins, il faisait illusion sur le reste. » » (p177)

mercredi 17 octobre 2007

Plastique orgasmique



1)- Monsieur, pour le mot "maître", y'a le chapeau chinois ?
- Je suppose que tu veux parler d'accent circonflexe ?

2) - Monsieur, ça vous saoule pas trop d'etre prof de français ?
- Comment ça ?
- Bah je sais pas, moi, prof de français, quoi, les textes, toujours les mêmes trucs...

3) Lu dans une copie, dans le cadre d'un exercice dans lequel il fallait utiliser le mot "plastique" dans une phrase :
"Cette femme avait une plastique orgasmique"...

lundi 15 octobre 2007

Cancre et premier de la classe, même combat (Daniel Pennac et son Chagrin d'Ecole)



Rentrée Littéraire 2007 (9)

Dans son dernier livre, Chagrin d’école (Gallimard, Renaudot 2007), Daniel Pennac revient sur ses années de cancre, les souffrances qu’il y a ressenties, et le rôle qu’elles ont tenu dans son choix, plus tard, de devenir professeur. « En ce qui me concerne, statistiquement, j’étais programmé pour être un élève sans problème. Famille bourgeoise cultivée, aimante, parents unis, frères réussissant leurs études… Et moi ? Un cancre étalon ! Pourquoi ? Mystère… », explique-t-il dans une interview à Elle.

« Le cancre que j’étais m’a toujours dit : « Tu es devenu prof grâce à moi ! » Et il a raison, ce salopard. Grâce à lui, je connais la douleur de ne pas comprendre et j’ai pu agir sur ses effets. »

Difficile de savoir ce qui nous pousse exactement à devenir prof… Je ne me sens pas moins attentif que Pennac à la douleur de ne pas comprendre, chez l’élève, et pourtant je n’ai jamais été cancre – j’ai même toujours trusté les premières places, du moins jusqu’au bac (cela dit sans me vanter : je n’en suis pas fier aujourd’hui, car cela ne m’a pas rendu particulièrement heureux. Cela ne m'a pas aidé non plus pour me choisir une vie les années suivantes. Mes bons résultats m’ont empêché, dans une certaine mesure, d’y voir clair dans ce qui me plaisait vraiment).

Alors, quid de l’envie d’être prof ? Si je mets de côté ces vacances qui me permettent de donner un coup de bourre aux manuscrits, il y a sûrement le plaisir brut de la connaissance partagée, c’est-à-dire la de connaissance créant de la chaleur et du lien. Si Pennac a guéri ses blessures de cancre en devenant professeur, je guéris peut-être une certaine pratique solitaire de la connaissance, une pratique douloureuse, celle du bon élève qui trime en silence parce qu’il n’a pas le choix.

(Cela dit, plus je disserte là-dessus, moins les raisons que j’avance ne me paraissent bien crédibles… )

jeudi 11 octobre 2007

Du fric et des cravates



1) Dans un bistrot à Odéon, une mère et sa fille, friquées, parlent de leurs mariages respectifs.
La mère: Il doit te respecter ! Dis lui que tu es un être humain !
La fille: De toutes manières, la prochaine fois il faudra que je me trouve un mari riche, mais un mari intelligent !

2) Dans mon lycée de Montreuil il y a des élèves que leur formation oblige à venir en costume cravate.
Le fait de les voir, tout endimanchés, attendre leur cours devant les grilles me rappelle ma première année de prof, pendant laquelle j'ai cru bon, une ou deux fois, de venir en costard. Chaque fois je me suis attiré des remarques du genre :
- Ouah Monsieur, vous avez un rendez-vous galant ?
Je sais m'abstenir maintenant.

mercredi 10 octobre 2007

Tous à poil / La malédiction de Dominique Pinon



1) L’une de mes sœurs m’a souvent faire rire en se disant exaspérée par tous ces spectacle de danse ou de théâtre dans lesquels les acteurs se sentaient obligés de se mettre à poil, un moment ou un autre (souvent en guise de final).

Je ne me doutais pas qu’un mouvement de révolte se dessinait contre cela chez les spectateurs… Jacques Juillard a dénoncé le phénomène dans une chronique du Nouvel Obs en accusant « la dictature arbitraire de ce démiurge autoproclamé et mégalomaniaque que l’on nomme metteur en scène », et la « connivence servile d’une partie de la critique. » Les lecteurs ont abreuvé la rédaction d’un courrier nombreux pour réagir (souvent favorablement) à l’article : ils se disaient soulagés qu’on déplore enfin l’« hystérisation » d’une grande partie des mises en scènes contemporaines, souvent au détriment des textes eux-mêmes.

Ainsi Christine D. : « Ouf ! Je ne me sens plus ringarde ! Professeur de français dans un lycée de province, j’emmène parfois mes élèves au théâtre, et souvent je sors mécontente : pourquoi les acteurs se roulent-ils sur le sol ? Pourquoi des actrices nues ? »

Pourtant, si je fais le bilan de ces deux dernières années (j’ai dû voir une vingtaine de pièces), je suis très déçu de constater qu’on m’aura offert très peu de nudité. Où tous vont-ils donc au théâtre ?

Si mes souvenirs sont bons, seul le petit Théâtre de Nesle, près d’Odéon, m’aura montré les corps déments et presque nus de jeunes actrices en proie aux tourments de la prose rageuse de Sarah Kane.

Après deux ans de programmation au Théâtre de la Colline, j’aurai surtout entendu des cris, des gémissements, des imprécations, assisté à des meurtres ou des suicides (le clou consistant dans la projection d’un nourrisson sur un bouclier de CRS, dans une pièce d’Edward Bond). La violence serait-elle plus subversive que le sexe ?

2) Lors du dernier spectacle, la mise en scène ébouriffante d’un texte de Valère Novarina (L’acte Inconnu, long délire métaphysico-poétique sur l’absurdité de la condition humaine), Dominique Pinon, au demeurant excellent acteur, s’est planté sur le devant de la scène, à quelques pas de moi (j’étais au premier rang) et s’est mis à déclamer une tirade au cours de laquelle il accusait certains groupes humains des pires outrages et leur promettait de terribles châtiments.

Un moment il a planté son regard sur moi (sa technique devait être de fixer un point précis pour avoir l’air plus convaincu), m’a abreuvé d’insultes et m’a juré que je subirai l’outrage ultime : ma bouche deviendrait muette.

jeudi 4 octobre 2007

Les questionnements sans fin des élèves



1) En pleine lecture d’un chapitre de L’Etranger, une élève lève la main pour me demander, le plus sérieusement du monde :
- Monsieur, ça fait quoi quand on étale du cirage sur une vitre ?

2) A la fin d’un cours, un élève vient vers moi, l’air préoccupé :
- Monsieur, ce que vous avez sur le côté, là (il montre ma tempe droite), c’est bien trois grains de beauté ?

3) A l’élection des délégués, Bob l’Eponge a obtenu quatre voix.

4) Entendu sur Skyrock :
- Alors, t’es content d’avoir gagné deux places pour le concert de Rakim ?
- Ah ouais, trop cool ! C’est ma copine qui va être contente !
- Ça c’est sûr ! Avec ça, elle va être dosée !

lundi 1 octobre 2007

Banlieue, mon amour (Fawaz Hussein, Audrey Estrougo)



J’essaye de suivre l’actualité de ce qui se fait à propos de la banlieue, et si j’ai été plutôt déçu par le film Regarde-Moi (le jeu des acteurs, notamment, est faiblard, et l'agressivité des dialogues finit par être pénible, mais la réalisatrice a une excuse : elle est jeune, très jeune…), je me régale en lisant le livre de Fawaz Hussain, que j’avais croisé dans l’émission de France Culture orchestrée par Jean Lebrun, et que je retrouve prof dans le lycée de Montreuil dans lequel j'enseigne : Prof dans une Zep ordinaire (Le Serpent à Plumes, 2006).

De son enfance kurde, pauvre mais illuminée par l’enseignement d’un professeur qui poussait chaleureusement l’auteur à persévérer dans l’apprentissage de la langue de Molière, aux dures années d’enseignement dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis, Fawaz Hussein égrène lentement les souvenirs, sans langue de bois ni démagogie, dans une prose parfois fleurie mais sans trop d’effet ni de moralisme.

Le meilleur du livre se trouve dans le compte-rendu, sans doute assez neutre, mais que certains pourraient juger biaisé, de conversations avec des collègues ou du déroulement de certains cours. L’auteur ne juge pas (ou peu), et prend le risque d’évoquer les tensions intercommunautaires, les non-dits, le tabou des profs qui, malgré leur bonne volonté, finissent par éprouver de la rancœur. L’humanisme et la compréhension prennent le dessus dans la toute fin du livre, mais le narrateur sera passé par toutes les étapes de la défiance et de l’incompréhension.

« A quatre heures de l’après-midi, Alex Vaskolikoff, le professeur d’allemand, a lui aussi la rage à l’arrêt de bus. Depuis le début de l’année scolaire, il essaie d’améliorer ses horaires de travail, mais obtient à chaque fois un refus catégorique de la part de Mme Martins. Dans le RER qui nous emmène vers Paris, il évoque un épisode tragique de sa vie. Avant d’être nommé au lycée, il était maître de conférences, à l’université de la Sorbonne. Il y était bien jusqu’au jour où, pour deux malheureux points, un élève qui lui en voulait s’est mis devant lui dans la salle de classe. Il a plaqué un magnum contre sa tempe. Avec ironie, il m’explique que s’il se trouve à présent dans le train qui nous conduit vers Paris, c’est sans doute à cause de sa peur de la mort et à son évanouissement. Il a senti le métal froid contre sa tempe et il ne se souvient plus de rien. Lorsqu’il a rouvert les yeux, des visages féminins très affables se penchaient sur le sien. Il s’est cru au paradis d’autant plus qu’il entendait des oiseaux gazouiller dans les arbres et que tout était blanc autour de lui. Les infirmières ont appelé le médecin qui s’est chargé de lui expliquer qu’il venait d’avoir un malaise et qu’il avait été transporté en urgence à l’hôpital. Avec l’humour qui ne le quitte jamais, il ajoute que depuis qu’il est au lycée, il lui arrive de regretter la sensation de métal froid, de l’instrument de la mort contre sa tempe. Il préfère encore l’horreur de ce moment-là à celui où il est en face de Mme le proviseur et de la stupidité incarnée. » (p128)

vendredi 28 septembre 2007

Mickael Jackson respire parfaitement bien



1) Dans une cité de Montreuil, des collégiens sur le chemin de leur établissement.
- Ouais, j’ai pris Allemand première langue.
- Putain, mais on t’a forcé ou tu le fais exprès ?

2) Au début de L’Etranger, de Camus, le narrateur assiste à l’enterrement de sa mère. Une infirmière porte un bandeau sur une partie du visage, on comprend qu’elle a perdu son nez. J’explique aux élèves que certaines maladies vous font tomber les doigts, le nez, etc…
- Ouah, mais monsieur, comment on fait pour respirer alors ?...
- J’imagine que c’est plus facile, non ?
- Mais Monsieur, vous voulez dire qu'on n’a pas plus de nez, c’est ça ?
- Oui.
- C’est Michael Jackson !

3) J’explique en quoi consiste le genre fantastique – le surgissement du paranormal dans le réel.
- Alors, les vampires qui débarquent, c’est du fantastique ?
- Oui.
- Et Poltergeist ?
- Oui !
- Mais Monsieur ! (une élève indignée) Ça existe, les poltergeists !