La littérature sous caféine


lundi 26 février 2024

Trop de white trash ?

Préparant un voyage en Louisiane, je regarde enfin la première saison de True Detective (2014). J'aime sa tension, ses dialogues au cordeau, son atmosphère poisseuse... Mais la chute me laisse perplexe. Le méchant cumule tellement les tares du white trash (vulgarité, laideur, dégénérescence, inceste, consanguinité...) que l'effet voulu, glacer le sang, me laisse de marbre. A partir de quel moment le cliché devient-il inopérant ? Les peurs au cinéma ne peuvent se passer des représentations communes. Elles jonglent avec les angoisses, taquinent les phobies - on sait que celles-ci dépendent de l'air du temps. Mais quand le ressort devient trop visible, il agace. Il vire au trucage. Cinquante ans que les films d'horreur misent sur les bouseux ! (Je leur avais réservé un chapitre dans Les petits Blancs). Peut-être devraient-ils passer à autre chose ?

mardi 20 février 2024

Révolte contre les élites qui se révoltent contre le peuple

Je revois "Joker" sidéré. Comment Todd Phillips, surtout connu pour ses comédies, a-t-il pu réussir ce prodige de noirceur ? Je n'attendais pas grand-chose de ce curieux projet, fiction réaliste tirée de l'univers DC. Mais le film est limpide et multiplie références, effets de miroir, morceaux de bravoure, sujets sensibles (viol, psychopathie, white trash...) Surtout, il propose une vision hallucinée d'un phénomène qui pourrait bien nous occuper les prochaines décennies, celui de la révolte non pas des élites, comme l'avait décrit Christopher Lasch, mais des peuples contre ces mêmes élites prétendument éclairées. Attaque du Capitole, Gilets jaunes, paysans européens, les soulèvements ont beau ne pas se ressembler, ni dans le fond ni dans la forme, ils paraissent s'inscrire dans la matrice pressentie par Joker... Ou quand la pop assume sa dimension prophétique.

lundi 15 janvier 2024

Râteliers

On m'avait annoncé un navet, je découvre avec le nouvel Aquaman un joyeux cocktail de Jules Verne (Nautilus, rétro futurisme, île mystérieuse...), de Lovecraft (créature inconcevable au-delà du temps), de Tolkien (arme mythique forgée pour le pouvoir), de geste arthurienne (le héros s'appelle Arthur et hérite d'un royaume malgré lui), de Star Wars (Jabba) et même de James Bond (l'attaque de la base fait penser à Dr No)... Hollywood mange à tous les râteliers mais on est tenté de lui pardonner.

mercredi 20 décembre 2023

Délice

Il y a quelque chose d'émouvant à ce que le plus français des réalisateurs américains rende un hommage si appuyé à la France, dans ce qui sera peut-être son dernier film. Et je suis déçu que la critique assassine ce "Coup de chance" de Woody Allen. Les Inrocks vont jusqu'à trouver problématique que le film mette en scène un homme dangereux. Un comble, quand on sait qu'ils ont carrément fait leur couverture sur Bertrand Cantat à sa sortie de prison ! Le film est pourtant rythmé (la principale qualité de Woody), prenant, plus joli que le précédent et les acteurs y sont délicieux. Pourquoi bouder son plaisir ? Cette fin de carrière difficile me rend cet homme d'autant plus attachant.

mercredi 20 septembre 2023

Journal d'Avignon, suite et fin

"J'aime les paumés, les moins-que-rien !" clame Pannonica, baronne juive en rupture avec son milieu, œuvrant pour la reconnaissance de jazzmen noirs. C'est exactement le mantra qui m'a guidé jusqu'à maintenant (mais plus pour longtemps ?) dans mon travail romanesque, et ce n'est sans doute pas un hasard si Natacha Régnier, interprétant avec justesse et émotion le personnage campé par Olivia Elkaïm, dans une mise en scène élégante de Christophe Gand, a accepté il y a deux ans de prêter sa voix à mes Suicide girls, avant de me faire l'amitié de lire en public des passages de La Viveuse. Pour moi, la littérature a toujours été quelque chose comme des mots soufflés sur une situation impossible.

Dans un genre différent, "Porn for the blind" réussit ce que la comédie sociale anglaise avait réussi avec Irina Palm (2007) : une histoire drôle et touchante, à peine provocante, à propos de l'univers porno. Une jeune femme (incarnée avec brio par Lison Pennec, auréolée du dernier Molière de la révélation féminine) tombe amoureuse d'un aveugle et cherche à le retrouver par le biais de podcasts érotiques. Rien de graveleux, mais de l'humour à revendre... Le porno devient un beau prétexte et l'occasion d'une jolie réflexion sur les fantasmes et la solitude. Qui a dit que la chair était triste ?

mercredi 13 septembre 2023

Algos

Écrire et travailler sur la sexualité, c'est à double tranchant. Vous attirez les curieux, les égrillards, les amusés, mais vous en agacez beaucoup d'autres. Sans parler du fait que les algorithmes vous marginalisent et cela, quel que soit le discours que vous tenez. Je pense l'avoir en partie expérimenté avec La Viveuse. Alors, je suis plein de sollicitude pour ceux qui s'y frottent, comme dans Platonix, mis en scène par Hélène Boutin, la comédie d'une réalisatrice tournant un porno conceptuel avec des acteurs qui ne la comprennent pas. Rythmé, culotté, sans provocation inutile... L'écueil énorme du ridicule est évité !

mardi 12 septembre 2023

Copi

Ça crie, ça rouspète, ça se bouscule, ça gigote, ça s'agite, ça roucoule, ça danse, ça rit, ça pleure, ça grimace, ça chie, ça baise, ça tue, c'est du Copi.

Et, accessoirement, le meilleur titre du Festival d'Avignon, "La sauterie circulaire".

lundi 11 septembre 2023

Oulipo, rire mécanique

Longtemps, je n'ai pas aimé les jeux littéraires. J'estimais qu'avec la littérature on n'était pas là pour s'amuser. Décrire, ressentir, exprimer... Mais j'avance en âge et je comprends mieux l'intérêt de faire l'enfant. Retrouver la fraîcheur et surtout prendre à revers la vie pour moins la subir.

C'est dire comme j'ai aimé, au Festival d'Avignon, "C'est un métier d'homme", en partie écrit par Hervé Le Tellier et placé sous le patronage de l'Oulipo. Deux acteurs survoltés (Denis Fouquereau, David Migeot) se moquent des postures et des métiers en jouant de leurs ressemblances, de leurs procédés, de leurs inévitables déchéances. Le rire est du mécanique plaqué sur du vivant, disait l'autre : ici, le rire est plutôt la révélation du mécanique.