La littérature sous caféine


Certains livres sont délicieux (Michel Déon : Cavalier, passe ton chemin !)



Je me demande souvent si la littérature française est la seule à cultiver le goût pour la jolie phrase, la tournure élaborée, la pointe de style, la belle page indépendamment de toute structure romanesque. En tout cas c'est la question que je me pose chaque fois que je passe de la lecture d'un roman étranger à celle d'un livre "bien de chez nous" - parfois c'est un supplice (la belle phrase pour la belle phrase, ça peut être asphyxiant), parfois c'est un délice : et c'est l'excellente surprise que m'a réservée le dernier livre de Michel Déon, Cavalier, passe ton chemin ! (Folio, 2007).

Le fameux académicien, souvent affilié au mouvement littéraire des Hussards, et qu'il m'est arrivé d'apercevoir chez des libraires, livre ici toute une série de souvenirs de ses séjours, nombreux, en Irlande, et brosse les portraits d'aristocrates usés, de postiers fantasques, d'écrivains increvables en dépit de leurs échecs...

L'humour pointe à chaque page, l'écriture est élégante (elle ne verse jamais dans l'effet ou la surcharge), et je me suis surpris à aimer cette littérature pleine de bonheurs et de discrètes nostalgies. Depuis quelques années j'étais devenu amateur de sensations fortes : tout à coup j'ai retrouvé l'ancien plaisir du lecteur de Colette ou de Proust que j'étais, amateur de phrases sensationnelles et de formules fines. Il est donc des livres heureux, apaisés, d'une beauté délicate... Ne seraient-ce d'ailleurs pas les plus difficiles à écrire ?

"Chaque fois que je pense à Derek T. (...), chaque fois me revient le triste diagnostic : fin de race. Il symbolisait à la perfection cette moyenne aristocratie anglaise venue, des siècles auparavant, s'installer en conquérante sur les traces de Cromwell. L'Irlande l'avait lentement phagocytée, lui dérobant ses vertus et lui distillant le lent poison de sa paresse dans un curieux mouvement de balance. Quelques-uns de ces Anglo-Irlandais avaient réagi, passant, avec superbe et au péril de leur vie, dans le camp opposé à leur patrie d'origine et mettant au service de perpétuels insurgés qui rêvaient d'indépendance le talent, l'intelligence et le cynisme politiques qui avaient tant marqué au cours de mille jacqueries étouffées dans des bains de sang. Derek n'était pas un imbécile, mais peut-être avait-il décidé de le paraître et de se réfugier dans la futilité pour continuer de vivre pavillon haut aors que le navire avait sombré depuis déjà plusieurs décennies." (p34)

COMMENTAIRES

1. Le mardi 22 janvier 2008 à 09:55, par héène

tu exprimes très bien ce que je ressens, c'est si difficile de faire comprendre aux gens "la belle langue"....Comment expliquer à certains (qui en ont besoin) , au-delà de l'intérêt de l'histoire narrée, la différence entre Anna GAVALDA (au hasard) et Colette au Proust...donc bravo à toi.
C'est d'Ormesson (qui quoiqu'on en pense a un très beau phrasé) qui disait que l'impression de facilité découlant de ses livres représentait une somme énorme de travail.
En ce qui concerne les hussards, j'ai récemment lu "le hussard bleu" , étonnant..Nimier a quelque chose de Céline .

2. Le mardi 22 janvier 2008 à 13:18, par pat

assez remarquable, nimier ! beaucoup de style, bcp d'aisance... Meme s'il donne l'impression de ne pas avoir forcé son talent. MAis il est mort si jeune ! (aurait-il écrit d'autres grands livres ?)

3. Le mardi 22 janvier 2008 à 13:44, par Marco

Je ne connais pas du tout Michel Déon; bel extrait, ça fait envie.

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