La littérature sous caféine


L'abbé jouisseur et fin moraliste



A l'occasion de la parution du cinquième numéro de l'excellente revue Ravages, il y eut débats et lectures théâtralisées dans une salle de l'Odéon, mercredi dernier, 28 septembre, et le singulier Georges Marbeck a donné la réplique à une actrice jouant le rôle du célèbre abbé de Choisy
, connu pour aimer se déguiser en femme, prélude à toutes sortes d'intrigues, et par ailleurs brillant homme de lettres. Parmi quelques-unes des répliques lues ce soir-là (et tirées de son oeuvre), deux se détachent par leur originalité.

Dans la première, l'abbé licencieux justifie son plaisir à se déguiser en femme par le fait que les femmes savent se faire aimer pour leur beauté, et que ce serait dommage de s'en priver :

J'ai cherché d'où me vient un plaisir si bizarre, le voici : le propre de Dieu est d'être aimé, adoré ; l'homme, autant que sa faiblesse le permet, ambitionne la même chose ; or, comme c'est la beauté qui fait naître l'amour et qu'elle est ordinairement le partage des femmes, quand il arrive que des hommes ont ou croient avoir quelques traits de beauté qui peuvent les faire aimer, ils tâchent de les augmenter par les ajustements des femmes, qui sont fort avantageux. Ils sentent alors le plaisir inexprimable d'être aimé. J'ai senti plus d'une fois ce que je dis par une douce expérience, et quand je me suis trouvé à des bals et à des comédies, avec de belles robes, des diamants et des mouches, et que j'ai entendu dire tout bas auprès de moi "Voilà une belle personne", j'ai goûté en moi-même un plaisir qui ne peut être comparé à rien, tant il est grand. L'ambition, les richesses, l'amour même ne l'égalent pas, parce que nous nous aimons toujours mieux que nous n'aimons les autres."

Dans la seconde, il est très drôle à parler du jeu comme du plaisir le plus "solide" qui soit...

"Quitter, si je le pouvais, toutes mes petites enfances, qui commençaient à n'être plus de saison, et m'attacher à quelque chose de plus solide ; je n'étais plus dans cette grande jeunesse qui fait tout excuser, mais je pouvais encore passer pour femme, si j'eusse voulu. J'amassai donc le plus d'argent que je pus et partis pour l'Italie avec un justaucorps et une épée. J'y ai demeuré dix ans, à Rome ou à Venise, et m'y suis abîmé dans le jeu. Une passion chasse l'autre, et celle du jeu est la première de toutes : l'amour et l'ambition s'émoussent en vieillissant, le jeu reverdit quand tout le reste se passe."

COMMENTAIRES

1. Le mercredi 5 octobre 2011 à 11:45, par Ariane

Merci pour ces deux belles citations qui pourrait elles-même ouvrir des débats sur l'amour, l'ambition... Outre ses qualités d'écrivain, l'abbé de Choisy est un personnage de choix pour un écrivain. Fasciné par le 18e, Roger de Beauvoir, entre autres, lui a consacré un roman.

2. Le mercredi 5 octobre 2011 à 23:02, par aymeric

Je vois que, "spécialiste du 19ème", tu restes pointue sur les autres siecles aussi !

3. Le jeudi 6 octobre 2011 à 15:04, par Ariane

Merci... mais quand même j'aurais beaucoup à découvrir des autres siècles et même encore du XIXe siècle car on ne finit jamais d'apprendre (ce qui est beau et désespérant à la fois)
Mais je trouve ces plongées dans des styles "anciens" toujours stimulantes et agréables.

4. Le jeudi 6 octobre 2011 à 17:46, par aymeric

l'ennui avec le 19ème, d'une certaine manière, c'est qu'il est vraiment massif (cependant ce sera pire au 20ème) et qu'il en faut, du temps, pour lire (et maîtriser un peu) zola, balzac, flaubert, hugo, stendhal et consorts ! :)

5. Le jeudi 6 octobre 2011 à 23:05, par Ariane

On peut tenter de maîtriser quelques-uns et butiner chez les autres en se laissant aller à son envie du moment, son centre d'intérêt, ses goûts. Je crois qu'il y a des époques où tel ou tel auteur plaît plus qu'un autre. Stendhal et Musset ne me quittent pas, j'ai eu un engouement pour Zola que je ne renie pas, je préfère les lettres de Flaubert à ses romans, je n'ai encore jamais lu un roman d'Hugo.
Je crois qu'on ne lit jamais un auteur par hasard, qu'il répond à un besoin parfois secret, non ?

6. Le vendredi 7 octobre 2011 à 11:21, par aymeric

Oui, sans doute, et c'est le seul moyen de se l'approprier vraiment.
Parfois on hésite à revenir vers des auteurs qu'on a aimés, de peur d'être déçu
parfois même on s'étonne de ne pas avoir été happé avant par une oeuvre majeure - par exemple, je sens monter en moi l'envie de relire Le Rouge et le Noir, et je sens que ça va me marquer ! (même si j'ai été déçu par les Souvenirs d'égotisme)

7. Le vendredi 7 octobre 2011 à 16:31, par Ariane

Cède à l'envie du Rouge et le Noir ! J'en garde un très bon souvenir, j'ai dû le lire deux fois, ce qui est assez exceptionnel car je relis rarement, sauf en cas de besoin, non tant par peur d'être déçue mais parce qu'il y a déjà tant de livres que je n'ai pas lu une fois. Cela dit, j'aimerais relire Lucien Leuwen, que je n'ai jamais fini (Stendhal non plus d'ailleurs). Ta relecture du Rouge t'inspirera peut-être un billet...
Etrangement, à part sur quelques éléments de style, le Stendhal romancier est différent du Stendhal autobiographe, peut-être parce que dans ses romans, ses héros sont des êtres qu'il aurait aimé être non des êtres faits à son image.

8. Le samedi 8 octobre 2011 à 12:43, par aymeric

En ce moment j'entame une période où je relis pas mal de livres déjà lus, agacé de me rendre compte à quel point il m'en reste peu... Je compte bien prendre quelques notes, pour ne pas avoir le sentiment que mes lectures s'évanouissent si vite... Je recommence Aurélien, d'Aragon, par exemple...

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