La littérature sous caféine


L'identité nationale d'un lecteur



Un lecteur alsacien m'écrit une lettre, suivie d'un courrier, commençant de la manière suivante :

"Monsieur,

Votre livre "Autoportrait du professeur en territoire difficile" m'a beaucoup intéressé. J'ai reconnu des situations vécues par ma fille N., qui enseigne maintenant en lycée après avoir enseigné en collège.

Devenu vieux, je souhaiterais laisser quelques souvenirs à mes enfants, sous forme de textes qui ne seront pas publiés.

L'un d'eux, ci-joint, traite de problèmes d'identité auxquels j'ai dû faire face et qui sont très différents de ceux que l'on observe aujourd'hui. Je vous l'adresse à titre d'information historique.

Je n'habite pas en régions (on ne dit plus en province). Je n'habite pas dans l'Est. J'habite en Alsace, je suis français et en plus, je suis alsacien. Question d'identité.

Il est des Alsaciens qui vivent dans le vignoble, dans le Sundgau, dans les vallées. Ils sont plus proches de moi que les Parisiens ou les Corses, qui sont pourtant des Français aussi.

Parmi mes quatre arrière-petites-filles, deux sont des jumelles d'origine éthiopienne adoptées à l'âge de quelques mois. Je tiens à leur transmettre une tradition à laquelle je suis très attaché. Si elles ne descendent pas de ma lignée d'ancêtres par le sang, elles en descendent par l'amour puisque tous ces ancêtres ont beaucoup aimé leurs enfants et qu'elles sont très très aimées par leurs parents (et par moi).
(...)"

L'auteur de cette lettre m'a autorisé à reproduire ici-même une partie d'un document qu'il a intitulé "Mon identité nationale, 2009". S'il a eu l'idée de me l'envoyer, c'est que mon livre contient un chapitre où je dresse une sorte de liste de toutes les identités qui me composent.

Voici de larges extraits du document, passionnant à bien des égards :

Monsieur le Président de la République a lancé un débat sur notre identité et créé un Ministère de l’Identité Nationale et de l’Immigration.
Nicolas Sarkozy est lui-même un fils d’immigré.
Barak Husein Obama est lui aussi un fils d’immigré.

Les questions d’identité nationale et d’immigration ne sont pas forcément liées : comme Alsacien, j’ai dû faire face personnellement à des problèmes d’identité nationale très graves mais tout différents de ceux des immigrés récents.

Qui suis-je ?


Enfance : en 1927, je suis né à Strasbourg de parents français, catholiques, alsaciens. Toute notre famille et nos amis l’étaient aussi. Comme enfant, j’étais très loin d’avoir un problème d’identité nationale : j’étais élevé dans le culte de la Patrie. J’étais nourri de lectures exaltant notre Patrie : les grands auteurs, les trois mousquetaires, Victor Hugo, les grands maréchaux alsaciens couverts de gloire : Kellermann, Kléber, Rapp, Lefèvre. J’ai toujours aimé les albums de Hansi, un dessinateur colmarien, qui expliquait le charme de l’Alsace et surtout l’histoire de l’Alsace d’une manière extrêmement hostile aux Allemands. J’entendais parler aussi beaucoup de l’action civilisatrice de la France dans le monde : elle apportait dans les colonies l’éducation, la santé, le développement économique. La victoire de 1918 n’était pas encore trop éloignée. La France était puissante et glorieuse, mes parents étaient très heureux et fiers d’être français.

Ils étaient tout deux nés allemands : en 1870, la France avait dû abandonner l’Alsace après une défaite écrasante, les Alsaciens étaient devenus sujets de l’empire mais mes grands-parents avaient toujours continué à se considérer comme Français et à en conserver les particularités : en famille, tout le monde parlait français (au moins depuis 1820, j’ai beaucoup de documents là-dessus). Mes grands-parents avaient envoyé leurs filles vers 1880, en pension dans l’intérieur de la France pour qu’elles aient une bonne éducation française et qu’elles conservent donc leur identité française. Une partie de notre famille avait quitté l’Alsace après 1870 : mon père, comme jeune homme, allait très souvent rendre visite à ses cousins à Paris et ailleurs en France. Notre famille utilisait d’ailleurs le français depuis plus longtemps encore : un de mes ancêtres vignerons avait envoyé son fils vers 1680 en échange d’enfants, pour une durée d’un an, chez un vigneron de Porrentruy en Suisse francophone pour que son fils parle le français.

Pour toutes ces raisons mes parents étaient très à l’aise avec leur identité française lorsqu’ils sont devenus Français en 1918. Ils possédaient une culture française ancienne.

Adolescence : en 1940, tout ceci a basculé brutalement : j’ai été personnellement témoin de l’épouvantable débâcle de l’armée française et de l’arrivée des Allemands. Ceux-ci voulaient germaniser totalement l’Alsace : interdiction de parler le français dans la rue, changement des noms et des prénoms même dans les inscriptions sur les pierres tombales, expulsion des juifs et des français de l’intérieur. Jusque là, je ne savais pas qu’il y avait une différence entre moi-même, les Juifs, les Français de l’intérieur…

Au lycée, la plupart des professeurs ont été remplacés par des Allemands. Comme je ne connaissais que quelques mots d’allemand, j’ai du assister à des cours spéciaux pendant 6 semaines, à la fin desquels je ne devais plus parler que l’allemand , uniquement, !!

Les professeurs allemands nous faisaient trois heures par semaine de formation politique. Ils m’ont expliqué que je n’avais jamais été français, que je ne le serais jamais ; que j’avais horriblement souffert de la France qui avait voulu me voler mon âme !

Tout ceci éveillait en moi des sentiments de très violente hostilité, que les circonstances m’ont appris à dissimuler complètement. Pendant ce temps, papa était en prison, pour une durée courte heureusement.

En famille, nous avions une identité française exaltée, forcenée, dans la fidélité à notre patrie écroulée, impuissante.

Nos parents, avec quelques- uns de leurs amis, ont engagé pour nous et pour quelques jeunes de notre âge des professeurs alsaciens pour nous donner des cours privés de français, puisqu’ils étaient persuadés que l’Allemagne finirait par perdre la guerre. Nous devions pouvoir entrer de plein pied dans l’enseignement français après la guerre !

Avec quelques amis de notre âge, nous avons fait du scoutisme clandestin etc... Je décrirai tout cela ailleurs.

En 1941, nous avons assisté à l’incorporation de force dans la Wehrmacht de 130 000 Alsaciens-Lorrains, entre-autres mes camarades de classe, qui ont été pour la plupart envoyés faire la guerre à la Russie. 40 000 d’entre eux y ont disparu.

Nous avons été très choqués d’apprendre à ce moment là que le chef de la France, le Maréchal Pétain, prônait la collaboration avec les Hitlériens et ne disait aucun mot de ces 130 000 citoyens français envoyés à la guerre sous l’uniforme de l’ennemi.
Par ailleurs, nous n’avons eu connaissance d’aucune protestation du Général de Gaulle.

Nous nous sentions complètement abandonnés par la France.

Pour moi, mes parents ont réussi à convaincre un de leurs amis médecin de m’établir un dossier très compliqué prouvant une grave tuberculose pulmonaire, fictive (c’était très dangereux pour ce médecin ). J’ai subi six conseils de révision allemands, j’ai été hospitalisé , ensuite j’ai disparu etc… et finalement je ne suis pas parti dans l’armée allemande.

La victoire : 1945 la France est libérée. Nous nous sentons plus Français que jamais : la gloire est retrouvée, nous mettons des drapeaux à toutes les fenêtres, nous manifestons notre enthousiasme de toutes les façons.

Ensuite, la France se reconstruit en 30 ans. Je fais mon service militaire avec enthousiasme. Par la suite, j’effectue des périodes militaires qui me mènent au grade de médecin-colonel.

Pendant mon service militaire, je venais en permission chez mes parents : mon père ne voulait pas que je me mette « en civil ». Il était fier d’avoir un fils officier français et voulait que tout le monde me voie en uniforme d’officier.

Plus tard, j’ai développé d’autres facteurs d’identité personnelle, tous dans un cadre français : mariage, famille, amour, profession (la gynécologie est une profession passionnante mais vraiment à temps plein, jour et nuit), immersion dans un milieu hospitalier, amis, voyages. J’ai aussi une identité de cavalier, j’ai beaucoup navigué.

Identité nationale en 2009

Voici quelques questions qui se posent aujourd’hui à Mulhouse.

Les malgré-nous : ces malheureux, incorporés de force dans l’Armée Allemande, étaient tous très conscients de leur identité nationale française. Sont-ils considérés maintenant comme des espèces de traîtres ? de volontaires ? de boches ? J’ai entendu dire par des Français de l’intérieur qu’ils n’avaient qu’à ne pas aller en Russie. Je pense qu’ils sont souvent confondus avec les volontaires de la LVF (ligue des volontaires français) créée par Pétain pour que des Français volontaires s’engagent dans un corps de troupe à uniforme allemand pour aller lutter contre le bolchevisme.

Il est évident que tous ces malheureux Alsaciens, à l’identité française forte, étaient obligés de suivre l’ordre allemand de réquisition pour l’armée sous peine de mort ou, s’ils réussissaient à s’enfuir, sous peine de mort et de déportation pour leur famille ! La situation de guerre et de germanisation extrême de l’Alsace, de 1940 à 1944 est tout à fait ignorée à l’intérieur de la France et jamais enseignée.

Les immigrés plus récents : au début du 20ème siècle, il y a eu beaucoup d’immigrés à Mulhouse venant de Pologne, d’Italie. Ils ont été assez mal accueillis mais ils se sont bien assimilés. Ils étaient chrétiens : la distance culturelle était moindre qu’avec des immigrés plus récents venus d’Afrique du Nord. Ceux-ci restent fidèles à leurs traditions, à leur religion, à leur langue mais je sais que beaucoup d’entre eux se sentent tout à fait français, quoi que regardant beaucoup les chaînes de télévision arabes. J’ai côtoyé des immigrés musulmans à l’hôpital, au Conseil Municipal etc.. et je suis certain que nombre d’entre eux sont des français tout à fait décidés.

Notre famille a conservé une culture et une tradition françaises de 1871 à 1918. Pour eux, il existe certainement une culture du même ordre pour la religion, les traditions islamiques, les coutumes alimentaires etc… il s’agit d’une fidélité qui leur est propre, cela ne les empêche pas d’être de bons français. La France a changé de population déjà plusieurs fois dans le passé : l’Alsace a été romaine pendant quatre siècles et a été ensuite envahie par des barbares germains dont les Francs, qui ont tellement bien réussi à s’installer que le pays s’appelle maintenant la France. Ces barbares avaient un mode de vie très différent de celui des Romains.

La France est vraiment un pays dont la diversité est une richesse. C’est une mosaïque d’ethnies différentes. La population de la France est dans une phase de renouvellement.

Beaucoup d’immigrés récents ont connu de grandes réussites en France : des ministres comme Mmes Rama Yade, Rachida Dati etc… montrent la grande qualité française de ces personnes.

D’ailleurs nos petits-enfants Capucine et Philippe ont adopté deux petites éthiopiennes, à l’âge de 6 mois. Elles sont maintenant citoyennes françaises. Quoique éthiopiennes d’origine, je les considère tout à fait comme mes arrière- petites filles et chercherai à leur transmettre toutes les traditions que j’ai reçues.

Les Pieds-Noirs : il existe à Mulhouse une catégorie spéciale de Français . Ils sont souvent Mulhousiens de longue date, de plusieurs générations, mais ils ne sont absolument pas des Alsaciens et ne souhaitent pas le devenir. (Je pense aux familles Le.…., De.……, Bo.…..., Gi.……,etc…) Aucun d’entre eux n’a vécu au temps de la guerre en Alsace. Ils ignorent tout à fait la partie germanique de notre identité alsacienne. Ils sont souvent extrêmement sympathiques, beaucoup sont nos amis, mais ils sont sous un certain rapport des étrangers en Alsace comme les pieds-noirs étaient des étrangers en Algérie où à ma connaissance bien peu d’entre eux parlaient l’arabe et se considéraient comme Algériens !

Alsaciens : nous avons un patrimoine germanique très précieux qui, malheureusement disparaît petit à petit. Le mien provient d’une part d’une tradition familiale germanique (et d’une partie de notre bibliothèque qui est germanique) mais aussi de ce que j’ai vécu pendant la guerre. J’ai été étudiant à l’université allemande de Strasbourg. Je parle couramment l’allemand. De nombreux Alsaciens sont empêtrés dans ces deux cultures : française et allemande. Ils n’arrivent à écrire à parler correctement aucune des deux langues. D’autres arrivent à maîtriser plus ou moins les deux cultures. En Allemand on appelle cela : Doppel oder Halb-Kultur (double culture ou demi-culture). Il me semble évident que l’allemand, sous la forme de l’alsacien, est une des langues régionales de la France. Ceci est très mal connu en « vieille France » ou très mal accepté. Les Alsaciens sont souvent considérés comme des « demi-boches ». Pour ma part, je pense bien avoir une identité nationale française indiscutable mais j’ai quelque chose de plus comme Alsacien, je maîtrise au moins partiellement une autre culture.

J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce qu’on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l’air lui-même. Tout ceci n’est pas exclusif de mes autres facteurs d’identité : ma foi catholique, ma qualité de mari, de père, de grand-père, de gynécologue.. Je continue à appartenir à des associations d ‘officiers de réserve et à vibrer lorsque j’entends parler de Patrie, lorsque je vois un drapeau tricolore.

Français retraité en France, je trouve ce pays splendide exaspérant mais je l’aime et c’est le mien. Je souhaite contribuer dans la mesure des moyens qui me restent au bonheur et aux succès de la France
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COMMENTAIRES

1. Le mardi 27 septembre 2011 à 13:25, par vincent

l'auteur de ce texte met le doigt sur un détail sensible, on peut se sentir plus proche des gens de sa ville, de sa communauté, que ceux de la communauté nationale dans son ensemble, c'est à la fois naturel et porteur de dissenssions qui peuvent se révéler dramatiques

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