La littérature sous caféine


Quand les romantiques veulent planter leur clou d'or



Ce qu’il y a d’amusant avec les biographies romancées, c’est qu’elles s’immiscent où la personne concernée n’aurait pas voulu qu’on traîne le regard. L’auteur force le trait, enjolive ou noircit certaines réalités. Mais surtout, il émet des hypothèses qui doivent à la fois être romanesques et crédibles. Ce sont ces passages-là que l’on guette, que l’on juge en fonction de l’équilibre fantasme-crédibilité.

Dans Le roman d’Hortense (Albin Michel, 2009), Ariane Charton raconte quelques années dans la vie d’une irrésistible romantique, Hortense Allart, maîtresse successive de plusieurs figures majeures de la littérature du 19ème. Et il y a un effet comique indéniable dans ces comparaisons implicites entre grands hommes. Chateaubriand, Stendhal, plusieurs marquis de prestige… En les présentant successivement, et sous le petit angle de la vie privée, le livre dissipe quelque peu le solennel de leur œuvre. Il rend ces figures plus humaines, sans doute, mais aussi plus fragiles et un peu plus ridicules. La grandeur en série, la grandeur qui se retrouve d’un homme à l’autre avec les mêmes automatismes, les mêmes réflexes, prête souvent à sourire…

Par exemple, cette première étreinte avec Chateaubriand :

« Si elle savait combien sa timidité la rend encore plus sensuelle et attirante, songea l’Enchanteur en admirant la courbe de ses hanches et de sa taille. Hortense s’abandonna aux élans de son amant et répondit à ses caresses avec une ardeur un peu maladroite. Elle repensa à son inconnu de la Scala comme si Chateaubriand lui faisait vivre la suite de cette parenthèse secrète qu’elle n’avait jamais oubliée.

- Ma charmante, chuchota l’écrivain en jouant avec sa chevelure. Depuis que tu m’es apparue, je reprends des forces. Viens avec moi à Paris et je mettrai la France à tes pieds.

Son désir assouvi, Chateaubriand repensait déjà au pouvoir. Hortense posa son index sur sa bouche et se mit à rire
. » (page 155)

Un deuxième effet comique consiste en de savoureuses révélations sur la petite cuisine amoureuse des grands auteurs, certaines expressions qu’ils ne s’empressaient pas de placer dans leur œuvre mais qu’ils murmuraient à l’oreille de leurs douces, et par exemple ce clou d’or qui m’a bien fait rire, aussi, de la part de Sainte-Beuve :

« - Belle et noble Hortense, balbutia-t-il en effleurant cette chevelure dorée qu’il trouvait admirable. Tout ce que je vous ai dit sur les rapports entre un homme et une femme était une façon de vous avouer que j’avais envie de planter avec vous ce que j’appelle le clou d’or de l’amitié.

- Qu’est-ce donc ? fit Hortense en baisant sa petite main blanche et molle.

- Vers l’âge de trente-cinq à quarante ans, un homme plante le clou d’or de l’amitié lorsqu’il possède, ne fût-ce qu’une fois, une femme qu’il connaît depuis longtemps, qu’il a aimée et…

- Vous avez le génie de trouver des formules magiques, s’enthousiasma-t-elle avant de l’embrasser.
» (page 448)

Ils sont d’un comique, ces romantiques !

COMMENTAIRES

1. Le lundi 10 octobre 2011 à 14:25, par Hélène

A le lire, je me suis toujours dit que Chateaubriand n'était pas un bon coup..

2. Le lundi 10 octobre 2011 à 15:22, par aymeric

!! :) Ah oui, dis nous donc pourquoi ?

3. Le lundi 10 octobre 2011 à 16:40, par Hélène

Son coté matamore

J'aurais adoré "flirter" avec lui, mais pour passer au lit....j'aurais feinté ..je ne suis pas sure qu'il ait été un bon amant, il s'observe trop pour savoir s'abandonner .

Du reste, le passage que tu cites et ce grotesque "clou d'or" le suggère suffisamment (enfin je l'interprète comme ça).


Pour moi, "écrivain" n'est ai pas synonyme de bon amant, je suis toujours étonnée qu'ils attirent les filles comme des mouches...

Sexualité et écriture, vaste programme..je crois qu'il y a eu une étude faite à ce sujet pour les femmes écrivain , pour les hommes je ne sais pas...

4. Le lundi 10 octobre 2011 à 19:09, par aymeric

@ rachat de crédit : tiens, un spam qui a de l'humour ! @ hélène : j'ai corrigé, il ne s'agissait pas de chateaubriand, mais de sainte-beuve - ce qui ne remet pas en cause le sujet de discussion, au fond. A propos des écrivains, ce qui attire n'est sans doute pas leur coté cérébral, tu as raison, mais leur notoriété, quand elle existe. Ca me paraît assez semblable avec ce qui se joue avec les politiques: ils ne sont pas toujours beaux (loin de là), mais leur autorité, leur pouvoir supposé redoublent leur pouvoir de séduction. Je suis sûr que Mitterrand, Chirac ou Sarkozy sont - étaient - de piètres amants. Mais la jouissance dépend sûrement moins de la puissance physique que de la part de fantasme qui entre en jeu

5. Le lundi 10 octobre 2011 à 23:12, par Ariane

Ce que je trouve d'attirant chez un écrivain, c'est plus son intelligence, sa sensibilité que son éventuelle notoriété et je pense ne pas être la seule femme dans ce cas. Mais il est vrai également que le pouvoir est une séduction.
Chateaubriand savait séduire les femmes par des paroles (pour la suite, je ne sais pas) et il était assez convaincu de son pouvoir de séduction alors que Sainte-Beuve, pourtant intelligent mais très complexé, n'y parvenait pas... il n'était que l'ami qui console les femmes délaissées (en premier lieu Mme Hugo).

6. Le mardi 11 octobre 2011 à 12:35, par christian

Est-ce que l'intelligence est séduisante ? Il faut croire que oui quand on voit gérard miller, petit roquet inbuvable, au physique plus que médiocre, mais passant pour intelligent (l'est il vraiment plus que la moyenne ?), et qui séduit de tres jeunes et tres jolies jeunes femmes
encore que l'effet cathodique doit jouer à plein avec lui

7. Le mardi 11 octobre 2011 à 14:20, par aymeric

et beigbeider: il déclare vouloir écrire pour séduire, justement, de jeunes femmes. Est-ce la notoriété, l'intelligence qui sont déterminantes dans son cas ? Sans doute une combinaison des deux - la notoriété étant d'ailleurs pour beaucoup un signe d'intelligence

8. Le mardi 11 octobre 2011 à 14:35, par Ariane

Je me demande si une femme intelligente mais peu jolie a autant de pouvoir de séduction ? C'est aux hommes de répondre. Mme de Staël, très intelligente, souffrait de n'être point jolie, ce qui laisserait à penser qu'on la traitait plus comme un grand esprit que comme une femme.
Dans l'histoire en tout cas, il s'est trouvé beaucoup d'hommes laids mais intelligents qui passaient pour de grands séducteurs ou tout au moins qui plaisaient aux femmes. Charmer par la parole pour faire oublier qu'on ne charme pas par les yeux.
Pour Gérard Miller, je crois plus à l'effet cathodique car on ne peut pas dire que ses réflexions nous transportent dans des jouissances intellectuelles extraordinaires.

9. Le mardi 11 octobre 2011 à 21:19, par stephanie

Un sociologue, François de Singly, a théorisé cela dans un article ancien : le capital de séduction des hommes et des femmes ne repose pas sur les mêmes facteurs : la beauté et le caractère pour les femmes, la réussite sociale pour les hommes. Pardon pour la formulation assez peu poétique ! Quant à l'intelligence je crois qu'elle est réellement érotique...

10. Le mardi 11 octobre 2011 à 23:25, par aymeric

les clichés les plus éculés rejoindraient ainsi les analyses sociologiques...
je crois pour ma part de plus en plus à un imaginaire collectif... Une sorte d'acquis devenu, par la force des choses, un inné qui s'imposerait plus ou moins directement à nos désirs, à nos représentations

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