Les orages annoncés (J.M. Coetzee, "L'été de la vie")
Par admin, mercredi 15 septembre 2010 à 17:13 :: Littérature étrangère :: #495 :: rss
Rentrée littéraire 2010 (4)
Cet article, à propos du dernier livre en date du Prix Nobel sud-africain, sera bientôt publié dans la Revue littéraire:
"Certains livres de J.M. Coetzee sont d’âpres romans réalistes (son fameux Disgrâce raconte la descente aux enfers d’un professeur, en Afrique du Sud, qu’on bannit de son Université pour un flirt avec une élève et qui voit sa propre fille se faire violer). D’autres livres du Prix Nobel 2003 sont plus analytiques, plus abstraits, comme ce Journal d’une année noire dont la plus grande part se compose de courts essais de philosophie politique, apparemment détachés du contexte sud-africain. La plupart du temps, cependant, on retrouve dans ses œuvres le regard distancié du narrateur, cette façon qu’il a de vivre les pires tragédies sans se révolter, d’étouffer ses propres sentiments sous une chape d’indifférence et presque de cynisme.
Dans L’été de la vie (Seuil, 2010), le troisième volume de son autobiographie, Coetzee renoue avec cette veine atone en adoptant un procédé qui radicalise cette désincarnation. S’il choisit d’évoquer l’homme qu’il était autour de la trentaine, en revanche il fait parler cinq personnes qui ont compté dans sa vie – une maîtresse, des collègues, une cousine… Elles s’expriment au cours d’entretiens prétendument réalisés par un étudiant cherchant à percer le mystère de l’écrivain. Chacune relate plusieurs épisodes de sa relation avec l’auteur, et l’on cerne de cette manière son personnage, progressivement, sans jamais avoir la certitude de le comprendre vraiment.
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Il y a quelques constantes dans les portraits qui sont ainsi brossés : Coetzee serait un homme sans caractère, peu sympathique, sans réelle présence, médiocre amant, professeur sans charme, menant une vie misérable aux côtés d’un père mourant dans une maison délabrée. Même ses livres, il n’a pas le cœur à les défendre et personne n’arrive à voir en lui quelqu’un de talent.
« John n’était pas mon prince. Et non seulement ça : si vous avez bien écouté, vous comprenez maintenant combien il est peu vraisemblable qu’il ait pu jamais être un prince, un prince satisfaisant pour aucune jeune fille au monde. » (page 101)
La grande qualité de Summertime (titre original) est cette adéquation du propos et du procédé : il est assez saisissant de pouvoir observer de l’extérieur un homme aussi fantomatique, de s’approcher de lui par étapes sans jamais atteindre le secret supposé de sa personnalité. Il est même terrible de se rendre compte que les personnes qu’il prétend avoir aimées le connaissent finalement si peu et se montrent si tièdes à son égard. Ces quelques trois cents pages se lisent avec une facilité désarmante et mettent en place une véritable petite tragédie, celle d’un homme à côté de lui-même, qui ne s’aime pas et n’arrive pas à se faire aimer, habité par la littérature mais dont la vie peine à s’élever quelque peu. C’en devient presque comique et cela donne, paradoxalement, le livre le plus humain, le plus touchant de Coetzee.
Il est également passionnant de cueillir ici ou là, au cours de pages qu’on aurait aimé plus amples, de courtes réflexions sur l’Afrique du Sud des années 70, cette Afrique du Sud qui pressentait que de grandes choses allaient arriver – la plupart des personnages, blancs, imaginant le désastre que cela pourrait représenter pour eux, faisant ainsi régner sur le roman comme une Apocalypse amère et douce, la promesse d’une sorte d’effacement dramatique.
Coetzee est coutumier de ces atmosphères incertaines, de ces analyses partielles. Déjà, dans Disgrâce, on devinait les tensions raciales sans qu’elles ne soient jamais nommées et l’on découvrait un pays tourmenté sans qu’il ne dise son nom. Ici, ces fragments d’autobiographie révèlent une atmosphère plus éloquente que beaucoup de comptes-rendus journalistiques, et le bonheur de ce livre est dans cette peinture douce en dépit des orages annoncés."
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