La littérature sous caféine


Maître Yoda en Indochine (Marguerite Duras, L'Amant de la Chine du Nord)



Si j'ai bien compris, c'est après avoir marqué son désaccord à propos du travail de Jean-Jacques Annaud sur L'Amant que Marguerite Duras a décidé d'écrire L'Amant de la Chine du Nord, reprise de la même histoire mais avec un ton nouveau. Duras insiste notamment sur la dimension cinématographique de l'oeuvre : souvent la narratrice intervient dans le livre pour commenter la succession des images, ce qu'il faut voir, ce qu'on sait ou ne sait pas.

Les premières pages du roman ressemblent au commentaire en temps réel d'un film qui serait celui que tournerait Duras de son propre roman.

"La mère est couchée.
Elle ne dort pas.
Elle attend son enfant.
La voici. Elle vient du dehors. Elle traverse la chambre. Peut-être reconnaît-on sa silhouette, sa robe. Oui, c'est elle qui marche vers le fleuve dans la rue droite le long du parc.
Elle va vers la douche. On entend le bruit de l'eau.
Elle revient
." (Extrait de L'Amant de la Chine du Nord, Folio, p 24)

C'est une écriture envoûtante, indéniablement, très incantatoire, un peu comme si Duras s'émerveillait constamment de la simple présence des choses, et de sa présence aussi, sa présence d'écrivain.

Et pas n'importe lequel, pourrait-on dire : car Duras me donne souvent l'impression d'être très consciente de son talent, de son pouvoir évocateur. Certaines de ses phrases sont simples à l'excès, comme si l'auteur génial qu'elle était s'abaissait à déposer par toutes petites touches des aperçus de son génie, sans l'accomplir tout à fait.

C'est plus frappant encore avec certains de ses tics d'écriture : une tendance à l'a-grammaticalité, d'une part, c'est-à-dire à faire des phrases qui s'allongent, tout à coup, et se permettent des ruptures de structure et de sens...

"Elle, elle est restée celle du livre, petite, maigre, hardie, difficile à attraper le sens, difficile à dire qui c'est, moins belle qu'il n'en paraît, pauvre, fille de pauvres, ancêtres pauvres, fermiers, cordonniers, première en français tout le temps partout et détestant la France, inconsolable du pays natal et d'enfance, crachant la viande rouge des steaks occidentaux, amoureuse des hommes faibles, sexuelle comme pas rencontrée encore. Folle de lire, de voir, insolente, libre." (Folio, p36)

... d'autre part un certain goût, plus rare, pour les inversions dans l'ordre des mots, du type : "Belle cette femme est." C'est poétique, c'est aérien, mais j'ai du mal à ne pas penser à la manière dont s'exprime Maître Yoda dans Star Wars (je doute cependant que Duras ait été voir la trilogie...)

Il y a un autre tic d'écriture chez elle (il faudrait sans doute l'appeler trait stylistique) qu'à vrai dire je ne m'explique pas : celui qu'on repère par exemple à la page 45 : "Ils se regardent. Il est pour dire qu'il ne comprend pas..." Anglicisme ? Décalque du Chinoins ? Formule personnelle ? Je ne trouve pas ça très heureux, mais peut-être cela participe-t-il de la "petite musique" (comme on a pu l'écrire de Sagan) propre à Duras.

Au final, je suis à la fois très admiratif de ce talent qu'a eu Marguerite Duras pour imposer ce ton si particulier, cette manière très inspirée (presque mystique) de voir les choses (quelques pages splendides en prime)... Et assez dubitatif, malgré tout, devant cette oeuvre qui me fait l'impression d'être saturée d'elle-même...


COMMENTAIRES

1. Le samedi 1 novembre 2008 à 09:56, par vince

d'ailleurs elle ressemble à yoda, ou je me trompe ?

2. Le samedi 1 novembre 2008 à 15:23, par Rosalie B

:-)
Maintenant que tu le dis...il y a en effet quelque chose.....en moins vert !

3. Le samedi 1 novembre 2008 à 15:36, par Rosalie B

Plus sérieusement...."l'amant" de Duras au cinéma fut pour moi une véritable catastrophe. Je ne savais pas qu'elle avait désapprouvé cette adaptation mais je la comprends. Il y a si souvent de mauvaises surprises en ce domaine. D'ailleurs j'ai un assez "mauvais oeil sur" ce phénomène grandissant. Je pense à "l'impossibilité d'une ile" livre porté sur le grand écran avec pourtant un scénario revu et corrigé par l'auteur lui même...mais bof bof super bof même!!!. L'oeuvre perd malheureusement toute son âme. C'est comme une trahison intellectuelle et sentimentale pour moi.... Peut-être, est-ce parce qu'il y a des oeuvres qui sont faites pour être uniquement visualisées dans l'imagination du lecteur???

4. Le samedi 1 novembre 2008 à 19:59, par pat

surtout, la qualité d'un livre dépend souvent du style, ou des digressions de l'auteur, plus que de l'histoire en elle meme... Ca me parait absurde, la plupart du temps, de vouloir porter un roman à l'écran !
L'amant etait effectivement une mauvaise idée, mais je pense aussi au film de Kubrick, pourtant un grand génie du 7eme art (le plus grand de tous ?), qui s'est planté à mon gout avec Eyes Wide Shut, l'adaptation de La Nouvelle Revee de Schnitzler : la nouvelle était superbe d'émotion et de délicatesse, et on a vu sur l'écran quelque chose de froid et de clinique...

5. Le samedi 1 novembre 2008 à 20:50, par Rosalie B

Le phénomène atteint son paroxysme lorsque des personnes qui ont vu un film adapté disent plus tard en découvrant le roman : ha! y zon fait un livre du film!!!! Cela pousse peut-être certains d'entre eux à la lecture mais dans ce cas la découverte du roman s'en trouve faussée, dénaturée. L'acquisition d'une culture littéraire n'est-elle pas intrinsèquement lié à l'objet "livre" ?

6. Le samedi 1 novembre 2008 à 22:46, par pat

j'ai d'ailleurs souvent l'impression en comparant film et livre que le livre reste infiniment plus riche... Ne serait-ce qu'en termes du nombre d'heures passées dans l'oeuvre ! En moyenne, on passe sans doute entre cinq et dix heures dans un roman ? Il y a une subtilité des mots, une puissance évocatrice, une puissance du sens à coté desquelles l'image peut paraitre parfois assez ridicule...

7. Le dimanche 2 novembre 2008 à 09:43, par Rosalie B

La puissance évocatrice,(merci Pat) voilà sans doute une différence fondamentale entre les deux. Le film nous donne à voir alors que la lecture évoque pour chacun des images "mentales", infiniment moins limitées...et puis nos autres sens sont aussi tellement sollicités.... C'est un univers pour le lecteur d'une liberté sans limite. Je repense à la nausée, l'écœurement incroyable que j'avais ressenti en lisant la putréfaction des corps à la dérive dans "Océan Mer" de Barrico. Son écriture était si évocatrice que j'avais dû m'arrêter de lire un moment pour ne pas dériver moi même. J'en était sidérée et j'en garde un souvenir très fort.

8. Le dimanche 2 novembre 2008 à 10:02, par pat

d'ailleurs, difficile d'imaginer une adaptation ciné de la Nausée... Ca donnerait un truc tres bavard, vaporeux, sans doute assez triste à l'écran...

9. Le dimanche 2 novembre 2008 à 11:37, par sorry

franchement pas ma tasse de thé la crevette binoclarde au service de mitterrand. Meme clique, meme suffisance. Qu est ce qu'elle se prenait au serieux la miss alcoolique flanquee dans son deauville nauseabond a faire de la poesie de rien du tout avec des bouts de phrases tout malheureux, tout riquiquis. A rebut !

10. Le dimanche 2 novembre 2008 à 11:38, par sorry

au rebut ! (quoi que a rebut, ca lui va bien)

11. Le dimanche 2 novembre 2008 à 11:59, par Rosalie B

Si on devait mettre Duras au rebus il y aurait un sacré paquet d'autres auteurs qui la précéderaient...beaucoup plus en tout cas que ceux qui la suivraient!!!!
Je" comprends mieux ton pseudo, "sorry"....il y a de quoi l'être ;-)
sorry to be so extreme!!!

12. Le dimanche 2 novembre 2008 à 21:46, par Philippe Laurichesse

Ce n'est pas un anglicisme.

13. Le dimanche 2 novembre 2008 à 22:58, par pat

effectivement, ca ne m'en paraissait pas un... Tic de style ? Mais ça me parait toujours étrange...

14. Le lundi 3 novembre 2008 à 19:08, par hélène

Elle a été un des premiers "éblouissements" de littérature moderne de la jeune fille que j’étais (gavée de "classiques" par mon éducation et ma culture familiale). C'est une jeune prof remplaçante en première (dans la vénérable institution de jeunes filles où j'ai fait mes études) qui ait introduit "la chose" (c'était les années 70). J'ai dévoré « un barrage contre le pacifique » et ai enchaîné, elle échappait à tous mes "codes" et apprentissages.

Je me souviendrais toujours du nom de cette prof qui a traversé à peine trois mois de ma scolarité alors que j’ai oublié le nom d’autres que j’ai eu plusieurs années… (ça c’est la minute « je-mets-du-baume-au-cœur-des-enseigants » vous ne savez jamais ce que vous semez..)

Par la suite, elle est parfois devenue une caricature d’elle même, a été « exploitée » et s’est « exploitée » elle même .
On l’a souvent taxé d’intello , mais je trouve son style tout sauf intello, direct, sensitif, instinctif.
Je ne pourrais jamais me défaire du ravissement quasi physique que j’ai eu à la lecture de certaines de ces pages, si insolites .

15. Le lundi 3 novembre 2008 à 23:01, par mattD

vous expliquez tres bien l'émotion qu'on peut ressentir à lire duras
vous dites que ce n'est pas une écriture intello, c'est vrai que le vocabulaire est simple mais elle avait une manière de rendre tres littéraire de petites phrases, de rendre précieux un style en quelques tournures assez répétitives

16. Le mardi 4 novembre 2008 à 19:11, par Olympe

Pour se souvenir de M.Duras, de sa force, de son talent... mais aussi de son physique (proche de maître Yoda!!), je vous renvoie à la photo d'elle prise par Avedon...

17. Le mercredi 5 novembre 2008 à 00:57, par pat

sa manière de parler dans le doc est assez remarquable aussi... Tres posée, un peu snob...

18. Le mardi 4 août 2009 à 04:04, par jessica

marguerite duras a beaucoup fait dans sa vie que ce soit professionnellement sentimentalement elle a defendu des causes a millitée a entreprit et reussi tellement de chose je l'admire pour son courage toutes ls épreuves qu'elle a passée elle est remarquable c'est romans son extraordinaire sa plume est magnifique et je pense pas qu'on n'est le droit de la critiquer ainsi réalisez au moins une chose qu'elle a pu faire avant de juger!!!!

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