La littérature sous caféine


mercredi 30 avril 2025

Rhodes



Je découvre l'île de Rhodes un livre à la main, celui des Hymnes homériques. Et je tombe un peu par hasard sur les restes d'un temple d'Apollon. 2 500 ans d'histoire observent le visiteur du fond d'un petit parc à l'abandon... Pauvre Phébus ! Heureusement que la littérature, bien traduite et bien annotée, maintient vivace la présence de ces divinités. Dans le deuxième hymne, je suis par exemple sensible à cette idée que Léto, grosse du futur Apollon, dialogue avec Délos pour négocier l'autorisation d'accoucher chez elle. J'aime ainsi me promener sur des îles qui, un jour, ont été si joliment personnifiées.

"Je dirai, délices des humains,
Comment t'enfanta Létô,
Adossée à la pente du Cynthia,
Dans l'île pierreuse,
Dans Délos qu'entourent les vagues ;
Des deux côtés la vague noire
Se brise sur le rivage
Lorsque sifflent les vents."

mercredi 23 avril 2025

Vigueur

Certains auteurs misent beaucoup sur la vigueur sexuelle pour donner du sens à leur œuvre. Ils prennent le risque de finir par écrire des livres assez sordides : le déclin physique leur est insupportable. Je pense à Gary, je pense à Roth... Sollers aurait pu tomber dans cette noirceur mais il forçait son trait joyeux. A bien le lire, on trouvait cependant quelques ferments d'aigreur.

mardi 8 avril 2025

Yo Marchand



Présentation de l'exposition "Les Oplontis" par Fabrice Pataut :

"La galerie Claudine Legrand accueille ce mois de mars la série Les Oplontis de Yo Marchand. Il faut s’y rendre et s’accorder le temps de s’arrêter devant chacune de ces toiles, revenir en arrière et reprendre comme on relit une longue phrase avec ses points-virgules et ses digressions tant les toiles se répondent, se citent, s’observent, se commentent. Je veux dire par là qu’on sera frappé par l’unité de ce qu’on pourrait appeler un projet ou un programme dont Yo Marchand a soigneusement effacé les ébauches pour nous livrer sans commentaires superflus de la peinture pure.

Il y a bien sûr la couleur, souvent safranée, la pourpre impériale de Tyr, le bleu et le gris métalliques et cendrés, tous immédiatement reconnaissables, tous à l’huile, qui font la matière et le style particulier de ses dernières toiles. Les Oplontis sont numérotés comme si nous avions des cotes pour le classement de livres ou de dossiers. C’est une chose assez rare qui justifie qu’on s’y attarde. Remarquez la pliure blanche, centrée dans le n°19, décalée et en couleur dans le n° 3, de nouveau centrée, quoique faussement dans le n° 4 puisqu’on la voit dans un rôle de ligne médiane alors que la ligne, à peine déplacée, n’est plus tout à fait au centre. Ce jeu de la pliure ou de la ligne de séparation fait travailler le spectateur. Et il y a là indéniablement la matière d’un spectacle, comme si l’on était au théâtre d’Oplontis, la ville éponyme, ensevelie avec ses sœurs Pompéi, Herculanum et Stabies dans l’éruption de 79. À moins qu’on ne soit dans une bibliothèque pour feuilletter debout quelques parchemins.

Remarquez également ce que j’appellerai faute de mieux les bandelettes ou les infules inscrites dans la toile plutôt qu’ajoutées : une rouge orangée, verticale, à gauche, dans le n° 19 ; une autre beaucoup plus grande, ocre, également verticale et à gauche, dans le n° 4. Yo Marchand leur a rendu leur place naturelle, patiemment tant sa démarche est lente, fragile, attentive, insensible au discours des mots, uniquement tournée vers l’émotion, vers le trouble que l’on ressent à voir chaque contour, chaque tracé, chaque ligne revenu à la place qui lui est propre.

La toile rélève parfois une trame, ou bien le couteau a-t-il au contraire déposé plusieurs couches, assez minces mais qui, superposées, donnent une belle matière veloutée, jamais épaisse. Ce sont là autant de traces de dépôts, d’usure, d’humidité, autant de tiquetures. On pense volontiers à la lie et au sédiment, choses naturelles, et à toutes les marques anciennes pour lesquelles le temps a travaillé avec patience, là où les hommes ont construit, mais là aussi où ils ont laissé faire une nature injuste et aveugle.

La lenteur et la constance sont la marque de ce travail. Yo Marchand insiste sur ce point dans son texte de présentation. J’ajouterais volontiers si elle me le permet : le recueillement — mais d’un genre terrestre, pour ne pas dire tellurique.

Sa nouvelle exposition est à voir absolument et sans retenue aucune."

Exposition Les Oplontis
du 6 au 27 mars 2025 à la
galerie Claudine Legrand
49, rue de Seine
75006 Paris

lundi 7 avril 2025

Dîner des histoires de famille (soirée potache 4)

mardi 1 avril 2025

L'humour pour contrer l'horreur

Coup sur coup je lis deux livres qui sourient pour faire pièce à l'horreur. Dans "Être sans destin", Imre Kertesz raconte les camps de la mort avec le ton d'un enfant qui s'étonne à peine du pire. Pérec dans "Quel petit vélo..." déjoue l'angoisse d'être envoyé à la guerre par une histoire burlesque dite avec désinvolture. C'est un humour subtil, une politesse extrême à l'égard du destin - on dit parfois que les gens drôles sont des gens tristes : il est vrai que j'ai peu de contre-exemples...

lundi 31 mars 2025

Arthur, de toute éternité

Passionné par la geste arthurienne, je me laisse reprendre par ma collectionnite. Je me procure un nombre invraisemblable de versions : Chrétien de Troyes, Malory, Boulenger, T.H. White, Barjavel, Le Guillou, ainsi que des livres théoriques - William Blanc, Emma Jung... Cette année je découvre une version contemporaine très grand public distribuée dans les relais de presse, publiée par un obscur éditeur espagnol (RBA) et sans doute fantaisiste. Mais je la trouve formidable avec ses cliffhangers et son sens très cinématographique du fantastique. Je retrouve avec elle le plaisir à peine avouable, presque éteint depuis l'enfance, de la narration pure. Le sens du merveilleux est si difficile à entretenir !

mercredi 19 mars 2025

Obsolescence du cinéma

Mauvaises nouvelles sur le front de l'obsolescence rapide du cinéma : pour la première fois de ma carrière, un élève me dit n'avoir jamais entendu parler de Louis de Funès. Pire, une classe entière ne sait pas qui est Pierre Richard. Je pensais que ses films amusants, son personnage d'éternel étourdi lui avaient survécu. Il y a quelques années, j'avais découvert qu'aucun jeune de vingt ans n'avait vu de Belmondo et que le nom même de Delon était tombé dans l'oubli. Quant à Depardieu, bien avant les affaires qui le touchent, il passait déjà pour un vieux dégueulasse et cela suffisait à ne pas avoir envie de connaître son œuvre. Décidément, les images vieillissent plus vite que les mots !

mardi 18 mars 2025

Un génial curé surréaliste

Marcel Aymé ne tarit pas d'éloges sur Rabelais - "Un génial curé surréaliste" - mais conclut sa formidable préface par le conseil de s'en tenir au deux premiers volumes. Las, j'ai découvert en préparant le Dîner du cochon la page hallucinante - le mot n'est pas galvaudé - qui met en scène, dans le Quart Livre, Mardi gras le Cochon volant, dans une bataille épique contre des andouilles... Dans ces conditions, comment résister à la lecture intégrale de l'oeuvre ? D'autant que je découvre précisément en ce jour de Mardi gras qu'il existe une version illustrée par Gustave Doré...