La littérature sous caféine


Les révélations tardives

Emmanuel Carrère fait un triomphe avec son dernier livre Un Roman Russe (POL, 2007), et je me plonge dans un de ses précédents succès, L’Adversaire (Folio), (Daniel Auteuil incarnant le personnage dans l'adaptation cinématographique), relatant ce terrible fait divers : Jean-Claude Romand vivait depuis quinze ans sur un mensonge – son entourage pensait qu’il était médecin à l’OMS – quand il a décidé de passer toute sa famille par les armes. Carrère s’intéresse à l'affaire avec pudeur, et double son récit des échos que l’affaire a rencontrés dans sa propre vie.

Réflexion sur le métier d’écrivain, réflexion sur la part fantomatique de nos destins. Rien à dire sur ce petit livre ciselé comme on les aime – d’ailleurs le jugement des élèves nous trompe rarement : mes classes semblent avoir tout de suite accroché à la lecture des quelques extraits que je leur proposais.

Citons pour exemple cette belle page sur l’horreur des révélations tardives :

« Le père avait été abattu dans le dos, la mère en pleine poitrine. Elle à coup sûr et peut-être tous les deux avaient su qu’ils mouraient par la main de leur fils, en sorte qu’au même instant ils avaient vu leur mort (…) et l’anéantissement de tout ce qui avait donné sens, joie et dignité à leur vie. (…) Pour les croyants, l’instant de la mort est celui où on voit Dieu, non plus dans un miroir obscurément mais face à face. (…) Et cette vision qui aurait dû avoir pour les vieux Romand la plénitude des choses accomplies avait été le triomphe du mensonge et du mal. Ils auraient dû voir Dieu et à sa place ils avaient vu, prenant les traits de leur fils bien-aimé, celui que la Bible appelle le satan, c’est-à-dire l’Adversaire. » (p27)

COMMENTAIRES

1. Le jeudi 15 mars 2007 à 14:22, par lila

C'est un roman très fort qui risque de t'habiter pendant longtemps...
Aucun voyeurisme ou curiosité malsaine de la part de l'auteur pour ce fait divers incroyable et c'est justement là dedans que réside son génie selon moi. Il a juste pris le temps de rencontrer J-C Romand en prison, de l'écouter sans pour aurant psychanaliser sa vie et apporter un jugement moral déplacé à cette tragédie moderne.

La "Classe de Neige" (P.O.L) est aussi un texte intéressant ; même manière de conduire le récit et d'instaurer peu à peu un climat nauséeu.

Vivement que je lise le dernier !

2. Le jeudi 15 mars 2007 à 14:46, par Mister pat

On m'a dit bcp de bien de La Moustache... Je vais me procurer tout cela !

3. Le jeudi 15 mars 2007 à 16:01, par Max

Lila> pas de jugement moral... La fin de l'extrait laisse quand même planer un doute.

4. Le vendredi 16 mars 2007 à 07:51, par Mister pat

La force du livre me parait etre justement de ne pas porter de jugement...
Bien que ce ne soit pas tres original, au fond !
L'essentiel de la littérature consistant à chercher à dépasser la trop grande simplicité de la moralité...

5. Le vendredi 16 mars 2007 à 10:02, par hélène

j'avais aimé son film "retour à kotelnitch"..son dernier livre en est , parait il, "la traduction".

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