Aymeric Patricot : La vie sexuelle d'un homme laid

La vie sexuelle d'un homme laid

Par admin, jeudi 8 mars 2007 à 17:12 :: Littérature française :: #171 :: rss

Je finis de lire le très beau livre de Richard Millet, Le goût des femmes laides (Folio, 2007): phrase ample, goût du mot juste, souci du souffle narratif pour ces confessions d’un homme au visage déplaisant, marquées par ce qu’on pourrait appeler l’éthique du romancier – celle consistant à ne jamais écrire de page qui ne soit à la fois sensible et belle (très peu de romanciers s’interdisent en effet le remplissage).

Exemple, avec la somptueuse ouverture du roman :

« Comme la plupart des hommes, j’ai raté ma vie sexuelle.
De cet interminable naufrage, je crois pourtant m’être moins mal tiré que d’autres. Je n’ai ni vice ni manie à révéler, ni même d’irrépressibles penchants à la sincérité qui me feraient avouer à une femme de quarante ans que je n’aime que les très jeunes filles, à une femme aux seins menus que je ne peux étreindre que celle qui en ont d’opulents, ou à une jolie personne que la beauté me fait peur. Rares d’ailleurs les femmes qu’on puisse dire belles, presque toutes étant en quelque sorte des laiderons qui s’ignorent, avant de tenter d’apporter en aimant la preuve du contraire ; plus rares les hommes qui aiment vraiment les femmes ; et quasi impossibles en fin de compte l’amour, le bonheur, le pur feu du désir. C’est d’ailleurs l’impossible qui gouverne les rapports amoureux. Quant à ce qu’on appelle la vie sexuelle, ce n’est qu’une commodité de langage : rien d’autre, en fin de compte, que l’ombre portée sur autrui de nos songes d’enfants mélancoliques ou de chasseurs de la préhistoire. »

COMMENTAIRES

1. Le jeudi 8 mars 2007 à 20:23, par franck-olivier L

que dire...du bonheur, rien que du bonheur...

2. Le vendredi 9 mars 2007 à 14:47, par Lila

Formidable cet extrait que nous propose le jour de la journée de la femme ! (même si pour moi cette journée c'est un mélange d' hypocrisie et de banalité). Beaucoup d'égocentrisme dans ce texte selon moi. Cet auteur qui se gargarise de la grandeur de son manque de sincérité envers les femmes... (pathétique !)

Mais, bon c'est juste mon avis !

3. Le vendredi 9 mars 2007 à 15:38, par franck-olivier L

Lila, si je puis me permettre, il faut cesser de vouloir à tout prix démasquer les auteurs derrière leurs écrits...ce qui est beau, c'est sa langue...et il ne faudrait pas, en prime, juger du propos dans son intégralité sans avoir lu le livre...je sais bien que nous vivons sous la dictature de la transparence...mais tout de même...

4. Le vendredi 9 mars 2007 à 16:12, par mister pat

Tiens, c'est amusant, je ne pensais pas qu'on pouvait etre exaspéré par ce texte... Je ne crois pas que l'auteur se gargarise de son manque de sincérité ! Il le constate, c'est tout, et je trouve cette retenue plutot élégante...
D'ailleurs je trouve que la plupart de ceux qui se disent fiers d'etre sincères sont tout simplement cruels, le plus souvent...

5. Le samedi 10 mars 2007 à 04:58, par Max

Vu la variété des exemples cités et leur caractère indéfini (il dit "une" femme pas "ma" femme) de toute façon la dénégation semble pouvoir englober aussi bien la sincérité qu’avec elle les divers motifs invoqués pour se donner des occasions de l’exprimer.

Dans le cas contraire je suis d’accord avec FOL pour l’aspect littéraire et pas loin d’être d’accord avec Mister Pat pour l’aspect psychologique (j’ai juste l’impression que je suis moi-même parfois cruel…) et cet extrait me donne très envie de lire la suite. Même si les deux dernières lignes me laissent un peu heu… dubitatif :-)

6. Le mardi 13 mars 2007 à 14:12, par Lila

Franck Olivier L, tu as eu raison de te permettre... De défendre avant tout la beauté de la langue ! (délicate et pernitente intervention )
Mister Pat, je ne suis pas d'accord avec toi mais ce n'est pas la première fois. Bref, je n'ai pas envie de polémiquer sur les bienfaits du manque de sincérité des hommes envers les femmes... Ce texte m'a en effet beaucoup irritée si bien qu'il m'a été difficile d'en goûter le style. Tant pis pour moi ! N'est-ce pas Messieurs ?

7. Le mardi 13 mars 2007 à 14:17, par mister pat