Rentrée Littéraire 2008 (2)

Livre étonnant que cette Education Libertine de Jean-Baptiste Del Amo (Gallimard), roman très remarqué par les critiques, et notamment pour son style : il est vrai qu'on est tout de suite saisi par l'ampleur et la qualité de cette prose tout en classicisme, en formules élégantes et précises.

A se demander même s'il ne s'agit pas d'un simple exercice de style, ou même d'un pastiche des auteurs du 18ème ou du 19ème. Le livre regorge d'imparfaits du subjonctif et de termes vieillis, l'intrigue elle-même fait penser aux Liaisons Dangereuses, à Manon Lescaut, avec des clins d'oeil vers Sade ou Rousseau, et se situe d'ailleurs au 18ème : un jeune homme arrive à Paris de sa Bretagne natale et, frappé par le véritable cloaque qu'est la ville, se lance bientôt dans la prostitution masculine et dans la manipulation amoureuse.

Les deux cents premières pages sont essentiellement composées de descriptions de la ville, et de la misère maladorante qui s'y déploie : on dirait vraiment du Zola pour la richesse du vocabulaire et par le véritable tour de force d'étendre les descriptions sur des dizaines de pages, à la seule différence près que le travail de JB Del Amo est plus abstrait, d'une certaine manière : il ne situe pas ses tableaux dans un lieu précis, ou dans une catégorie socio-professionnelle bien définie, mais il tente de saisir l'aspect grouillant de la foule pour lui-même, ou la purulence de la ville dans son ensemble.

Cela donne des choses du genre :

"Dans cette géhenne, la chaleur de l'été collait aux visages comme un masque, drapait les corps de feu, tuait les bêtes qui tentaient de survivre en quelque coin d'ombre, suffoquait les femmes aux poitrines poisseuses. Les glandes sudorales déversaient par flots leurs humeurs. Jaillies d'aisselles velues, elles s'écoulaient des fesses aux flancs puis sur les jambes. Fondue comme du beurre sur les fronts, la sueur piquait aux yeux, répandait son sel aux bouches haletantes." (p13)

Par ailleurs, la première scène de sexe n'arrive qu'à la page 200 ! Surprenant, pour un livre qui parle de libertinage... Les scènes en question seront bien écrites, presque poétiques, mais elles confirmeront l'impression que l'auteur s'amuse avec nous, promène sa plume et ses fantasmes au gré d'une inspiration qui se cherche...

"Le contact du pectoral sous sa paume inonda son corps de concupiscence et, violemment, comme s'il eût senti cet émoi, Etienne porta une main à la chevelure de Gaspard, l'empoigna sans clémence, l'arriva vers lui. Suffoqué, Gaspard chercha la langue chaude, explora les dents, goûta la salive déversée dans sa bouche. Tandis que les mains d'Etienne parcouraient son dos, se glissaient sous sa chemise pour éprouver la texture de sa peau, celles de Gaspard, tremblantes, empoignaient l'ovale de ses fesses. Le désir si souvent réprimé explosa à la seconde même, étourdit son esprit, fit courir à la surface de sa peau un interminable frisson. Enchevêtrés l'un dans l'autre, ils s'effondrèrent sur la couche." (p202)