Décès de Soeur Emmanuelle, sacrée petite bonne femme au charisme stupéfiant.

Une anecdote : pendant l'hiver 93, je dînais avec mes camarades de Sainte-Geneviève (Ginette, pour les intimes), l'école préparatoire aux écoles de commerce, dans la sorte de crypte qui nous servait de cantine, chaque jour de cette interminable et morose année qui a suivi mon bac, losque Soeur Emmanuelle en personne a surgi d'on ne sait où, nous prenant à parti de manière particulièrement rude.

"Vous n'êtes que des égoïstes, nous a-t-elle dit en substance. Vous êtes ici pour vos petites personnes, vous ne pensez pas aux autres, vous vous empiffrez alors que des gens meurent de faim dans le monde ! Vous me faites honte !"

Puis elle a disparu aussi vite qu'elle était apparue. Nous n'avions pas été prévenus de son passage par les jésuites qui tenaient (et tiennent encore) les rênes de Sainte-Geneviève. J'avoue que, sur le coup, je ne l'ai pas trouvée très sympathique. Je me sentais mener une véritable vie de moine dans cet endroit retranché, sans jamais sortir le bout de mon nez de mes cahiers. Me faire traiter d'égoïste me paraissait complètement décalé. Maintenant je comprends mieux, bien sûr.

En tout cas son énergie redoutable me rappelle un livre dont le rapprochement avec le personnage qu'elle incarnait pourrait surprendre, au premier abord : Vous pouvez être ce que vous voulez être, de Paul Arden, petit livre composé de courtes techniques de travail destinées au publicitaires pour doper leur créativité, mais applicables à la vie de tout un chacun. Je me suis beaucoup amusé à le lire, le printemps dernier, même s'il est si représentatif d'une certaine combativité à l'américaine, dont la candeur peut paraître assez ridicule. Et je me suis surpris à retrouver une certaine foi dans mon acharnement à pondre des livres...

"ON A TORT D'AVOIR RAISON.

On estime avoir raison parce qu'on se réfère à un savoir et à une expérience. On peut souvent le prouver.
Le savoir vient du passé. C'est donc une valeur sûre. Mais périmée. C'est le contraire de l'originalité.
Quant à l'expérience, elle se bâtit sur des solutions apportées à des situations et à des problèmes du passé. Comme les situations d'hier étaient probablement différentes de celles d'aujourd'hui, on est obligé d'adapter les solutions d'hier (et elles peuvent s'avérer inadéquates) aux nouveaux problèmes. Si vous avez de l'expérience, vous serez sûrement tenté de vous en servir.
C'est de la paresse.
L'expérience est le contraire de la créativité.
Si vous pouvez prouver que vous avez raison, c'est que vous êtes sclérosé. Vous n'évoluerez pas avec votre époque ni avec les autres.
Avoir raison, c'est aussi être ennuyeux. Votre esprit est fermé. Vous n'êtes pas ouvert aux idées nouvelles
. (...)" (Extrait de Vous pouvez être ce que vous voulez être, chez Phaidon)