Après l'impression d'ensemble sur le film de Laurent Cantet, Entre les Murs, quelques remarques sur l'accueil fait au film :

Les réactions en salle des profs, tout d'abord. Je suis très surpris par l'animosité que le film inspire, et pas du tout dans les rangs (très maigres) des profs "à l'ancienne", ou conservateurs (cela existe-t-il seulement dans le 93 ?). Le contraste est surprenant avec le déluge d'éloges qu'on voit dans la presse (à peu près unanime). Si je devais faire la synthèse de ce que j'ai déjà entendu, cela donnerait quelque chose du genre : "Il sabote complètement l'image des profs ! Déjà qu'on rame à récolter des crédits pour l'école, qu'est-ce que ça va être maintenant ? Il est incapable de tenir une classe, ce type ! En plus il ne fait jamais cours... Ses élèves n'apprennent rien ! Et puis quelle image il donne des blacks et des beurs ? A en croire le film ils sont tous débiles, incapables de faire une phrase correcte ! On n'a pas des élèves comme ça, nous ! D'ailleurs ce mec il n'est plus prof, il s'est planqué dès qu'il a gagné de l'argent avec ses livres... Franchement, il n'a pas de leçons à donner !"

Toutes ces impressions rejoignent l'article du Nouvel Obs du 25 Septembre 2008 recueillant les réactions de huit profs et intitulé : "Huit profs notent "Entre les Murs" : Zéro Pointé !" On y lit par exemple : "Avec "Entre les Murs", l'école cesse d'être un roman suave. C'est une fresque pleine de cris et d'invectives, où nos enseignants se sentent trahis, bafoués même. "Le film risque d'apporter de l'eau à tous les "déclinologues" qui disent qu'on ne peut plus faire cours, que c'est de la gabegie", regrette Marie-Cécile. D'une seule voix, les huit spectateurs dénoncent la caricature de l'institution : la vie, l'humour sont toujours du côté des élèves. "On fait passer tous les profs, sauf François Marin, pour des c...", pointe Isabelle."

Le plus surprenant dans les réactions négatives, c'est qu'elle ne viennent pas en majorité du camp conservateur, énergiquement incarné par Alain Finkielkraut en tant d'occasions.

J'ai remarqué par exemple l'interview très vif de Philippe Meirieu, souvent présenté comme le chef de file des pédagogues, ceux précisément que dénonçait Jean-Paul Brighelli dans son pamphlet à succès La Fabrique du Crétin (Folio Documents), et qu'il accusait d'être de dangereux gauchistes responsables de l'effondrement de toutes les valeurs à l'école. Dans cette interview, Philippe Meirieu expliquait par exemple : "Les pratiques pédagogiques dans le film ne sont pas de gauche. On y voit un enseignement fondé sur l'affect, la complicité avec un petit nombre d'élèves. Une pédagogie de gauche donne la parole aux élèves et préconise de se mettre à leur portée et non à leur niveau, c'est là qu'il y a confusion dans le film."

Citons d'ailleurs un passage de l'article d'Alain Finkielkraut paru dans Le Monde, intitulé Palme d'Or pour une syntaxe défunte, et qui rejoint P. Meirieu sur l'essentiel (c'est le bonheur des polémiques que ces points d'accord entre deux hommes que tout semble opposer) :"On jugera le film de Laurent Cantet lors de sa sortie en salles. Peut-être sera-t-on intéressé, voire captivé par cette chronique d'une année scolaire dans une classe de quatrième à travers les tensions, les drames, les problèmes et les imprévus du cours de français. Mais s'il est vrai qu'après s'être vainement employé à corriger la syntaxe défaillante d'adolescentes qui se plaignaient d'avoir été "insultées de pétasses", l'enseignant finit par utiliser certaines tournures du langage des élèves, "plus efficace que le sien", alors on n'aura aucun motif de se réjouir. "