La littérature sous caféine


Les choix de vie alternatifs (Russel Banks / Guillaume Dustan)



Passé trente ans, les vies de ceux qui vous entourent se ressemblent. Les trentenaires sont heureux, posés dans l'existence. Ils empruntent des chemins si balisés : mariage, enfants, quelques voyages, travail presque agréable, du sport et des amis (parfois des maîtresses, mais on en apprend finalement peu sur ses propres amis).

Je n'aurais même pas l'idée de le critiquer, mais il m'arrive d'éprouver une certaine mélancolie. Comment donc s'organiser une vie qui sorte un tant soit peu du cadre ? Comment ne pas, dans cette tentative, renouer tout simplement avec les expériences de nos aînés - et se condamner au ridicule, ou à une mélancolie plus forte encore ?

C'est sans doute parce que je m'interroge fortement en ce moment sur certaines nouvelles directions à donner à ma vie que j'ai dévoré la première partie du roman de Russel Banks, tout juste sorti en poche, American Darling (Russel Banks, excellent romancier américain à qui l'on doit par exemple Affliction, d'ailleurs adapté avec brio au cinéma) : on y découvre le parcours chaotique de la protagoniste dans les milieux d'extrême gauche des années 60 (elle croise les fameux Weathermen, sujet d'un documentaire récemment réédité au cinéma), avant sa fuite au Libéria, où elle s'engagera pour la défense des chimpanzés.

"A l'université, Zack avait donc un fort penchant pour des filles de la classe moyenne noire ou pour des filles juives - n'importe qui pourvu qu'elle ne soit pas comme maman. De mon côté, je n'étais attirée que par des garçons de la classe moyenne noire ou par des garçons juifs - n'importe qui pourvu qu'il ne soit pas comme papa. Par conséquent, tout acte sexuel entre Zack et moi ressemblait trop à un inceste pour produire en nous autre chose que de l'anxiété." (Extrait de American Darling, p 67)

C'est pour cette raison sans doute aussi que je m'amuse tant à relire certains livres de Guillaume Dustan, comme Génie Divin (J'ai Lu) : quand j'avais découvert cet auteur il y a dix ans j'avais trouvé sa plume assez faiblarde. Aujourd'hui je suis précisément accroché par son côté clinquant, provocateur, destructeur, revanchard, hargneux, défonce et hard sex... Non pas que je veuille me faire fist-fucker dans les backrooms du Marais, mais je deviens très sensible à cette façon de revendiquer une vie résolument à contre-courant (même si Guillaume Dustan, dans Génie Divin, se met à rêver souvent que tout le monde adopte le même genre de vie que la sienne).

Il s'était fait beaucoup d'ennemis au début des années 2000 quand il avait défendu l'idée du barebacking (l'amour sans capote, même quand on se sait séropositif). Je ne me sens pas qualifié pour donner mon avis sur la question, mais les textes en question, dont on retrouve justement certains dans Génie Divin, fleurent bon l'énergie primale, la rage et la sueur. En littérature, c'est toujours bon à prendre...

"Je considère que, depuis la crise du sida, chacun d'entre nous est présumé atteint. Jusqu'à preuve du contraire. Et c'est spécialement vrai dans un contexte homosexuel, quel qu'il soit. Pas seulement en backroom. Partout. Dès lors, une relation non protégée entre adultes consentants, et par conséquents, présumés responsables de leurs actes, signifie que chacun des deux est d'accord pour choper n'importe quoi. Ce qui est le droit le plus strict de chacun. On a le droit de se suicider. Et même, à petit feu. Et dès lors qu'apparaissent les trithérapies, que la terreur s'estompe, il ne faut pas s'étonner que la capote récède (sic) encore." (Extrait de Génie Divin, p125)

"Pendant les quelques mois où tout le monde était hyper drogué et tu avais des supers clubbers, une ambiance idéale j'ai absolument jamais connu ça, et moi je dansais sur le podium pendant six mois quasiment tous les dimanches, je montais sur le podium et je faisais genre une heure, j'étais défoncé. Il a fallu qu'ils me jettent à coup de pied parce qu'à la fin ils en avaient marre de me voir. Je me suis rendu compte que j'avais été tellement heureux dans ces endroits-là, que quand ça s'est arrêté, c'était comme si quelqu'un m'avait quitté, comme si quelqu'un avec qui en plus j'aurais été extrêmement heureux m'avait quitté." (Extrait de Génie Divin, p 92)

COMMENTAIRES

1. Le vendredi 24 octobre 2008 à 22:39, par mattD

ils sont tous les deux assez ridicules, sur la vidéo. Dustan en grande folle maniérée (meme s'il est tres drole quand il se fout de la gueule de nabe à propos de la "poésie"...), nabe en petit hétéro coincé (contrairement à ce qu'il veut laisser paraitre)

2. Le samedi 25 octobre 2008 à 09:09, par manue

Meme quand on baise comme un fou et casse tous les tabous, je pense qu'il y a toujours le: "et aprés?".
Une fois nos fantaisies assouvies, il semble que l'on reste toujours face à nos crises existentielles. La baise, la came et toutes ces choses "hors normes" ne sont que des rebellions temporaires à des questions bien plus grandes. Meme de la came et du cus on se lasse aprés quelques années!
Bien sure, chacun son chemin. La dope, le sex et les nuits blanches étant un quartier de la carte mentale comme tout autre, avec juste un peu plus de mort régulières et de neuroses.
Et aprés?;)

3. Le samedi 25 octobre 2008 à 12:32, par pat

oui, je serais assez d'accord avec toi : je pense qu'on peut s'en lasser, comme de tout, et surtout que ca ne fait que masquer d'autres problemes, plus essentiels, comme la mort, le sens de la vie... En meme temps, quelle est donc l'activité, la passion, qui ne procure pas ce sentiment ultime de vacuité ?

4. Le samedi 25 octobre 2008 à 18:34, par manue

Rien.
En revanche, il parait que c'est justement lorsque l'on devient pleinement conscient de ce vide total que les choses en deviennent sublimes;)

5. Le dimanche 26 octobre 2008 à 10:56, par Rosalie B

Je retrouve beaucoup de ces questionnements dans le roman de Trista Garcia (commencé hier). C'est une belle surprise (j'espère pourvoir maintenir mon opinion une fois le livre achevé...) 4 personnages lui servent de voix pour exprimer les joies, les désillusions d'une époque marquée par l'apparition du sida en France. Il y a un beau passage p 65 qui contredit peut-être la prégnance de la vacuité de nos passions :

"les temps modernes ont le culte de la relation éphémère, de la liberté de choisir ces "partenaires, la désillusion face à l'essentiel, et nous avons tous autant que nous sommes perdus le sens de la promesse. Promettre c'est engager l'avenir, l'avenir de toute une vie dans un moment un seul. Et Leibowitz disait que le temps, le vrai temps, bien sûr, n'était pas la succession d'instants ou l'on penserait : je l'aime, puis je l'aime plus, puis je l'aime, mais une durée promise - aimer c'est s'engager à aimer même quand on n'aime plus tout à fait par respect pour la promesse d'avoir voulu toujours aimer. Et ce temps là le temps promis, c'était la seule résistance possible au temps charcuté, divisé en petits morceaux de fausse liberté par la société de conso, l'individualisme, la civilisation de l'instant et l'hédonisme contemporain. Bien sûr, ça ne voulait pas dire qu'il ne fallait pas divorcer ou tromper, non, mais qu'il fallait réapprendre la durée amoureuse, la durée de la promesse et la fidélité au sens..."

"La meilleure part des hommes" Tristan Garcia

6. Le dimanche 26 octobre 2008 à 16:02, par Dahlia

Voilà, le roman de Tristan Garcia a au moins permis ça, se réintéresser à Guillaume Dustan. Le vrai je veux dire, pas la caricature complètement neuneu et manichéenne que Garcia donne à voir dans son roman assez surestimé...

7. Le dimanche 26 octobre 2008 à 17:30, par pat

en écrivant ce post je pensais justement au roman de Garcia, que je n'ai pas encore lu, mais dont je me doutais qu'il traitait de ces problemes en long, en large et en travers... J'entends bcp de gens dire qu'il est effectivement surestimé ! j'ai hate de juger sur pièce...

8. Le dimanche 26 octobre 2008 à 17:47, par Rosalie B

En quoi le trouves tu surestimé ?
j'aime assez la construction "double" du récit, faire parler cette femme de ces trois hommes nous plonge dans un presque huis clos avec elle, un moment assez intime, qui fait du lecteur un témoin direct de ses émotions... et en même temps nous réinvestir dans un moment social et politique très fort de notre histoire.

La surestimation se jouerai peut être davantage en lien avec l'auteur lui même et son jeune âge. Un peu comme Stieg Larson dont l'histoire est intrigante et a provoqué involontairement un gros coup de pub à Millenium...

9. Le dimanche 26 octobre 2008 à 18:29, par vince

n'oublions pas pour garcia le poids du LOBBY GAY !!!!!

10. Le dimanche 26 octobre 2008 à 19:02, par Rosalie B

Ah! une nouvelle tentative de lancement de polémique...prendra... prendra pas ? Ne t'en ferais tu pas une spécialité ? ;-)

11. Le lundi 27 octobre 2008 à 08:45, par vince

:-)
tentative ratée, je te l'accorde !! :-)

12. Le lundi 27 octobre 2008 à 13:32, par Robert

Pourquoi sortir "un tant soit peu du cadre"?
A mon sens, il est plaisant de tenter quelques sorties osées ou de se comporter pour quelques instants comme un original ou un fou fou, mais la réalité te rattrape si brusquement que tu rentres rapidement dans le "cadre" (même si pendant quelques instants tu auras suscité le rire ou la consternation, ce qui n'est pas donné à tout le monde).
Pour autant, ceux qui sont dans le cadre ne sont pas forcémment plus heureux que ceux qui sont hors cadre, mais utilisent , à foison, des formules préétablies emplies de faux-brillant, qui leur permet de justifier un bonheur inexistant ou voire pire, pour les malhabiles, de laisser transparaître une souffrance.
Les cadres voudraient être hors cadre et inversement.
Le bonheur doit certainement exister dans les deux camps.
L'équilibre parfait n'existe sans doute pas!!!!

13. Le lundi 27 octobre 2008 à 22:32, par pat

oui, bien sûr, et puis qu'est ce que le cadre exactement ?
il est finalement impossible de définir ce qu'est une vie banale, et puis il existe une banalité de "l'attitude rebelle"... Les vies soi disant hors cadre peuvent répondre à autant de clichés que les autres !!
n'empeche qu'il existe, ce désir parfois de sortir des sentiers battus, meme s'il reste assez indéfinissable... Tout ca me rappelle l'excellent film de Lars Von Triers, Les Idiots : il mettait justement en scène un groupe de jeunes gens qui jouaient aux idiots aussi longtemps que possible. Evidemment, ca finissait de manière tragique...

14. Le mardi 28 octobre 2008 à 21:28, par Rosalie B

Je maintiens ma première impression au sujet de Garcia. "La meilleure part des hommes" est un roman étonnant. Je ne m'en suis pas détachée facilement, je salue "bien bas" la maturité des réflexions proposées par un si jeune homme ! Il m'a permis aussi de me replonger dans le combat et l'engagement de personnes courageuses, qui même si elles ont à un moment changé de direction... ont au moins eu le cran de s'exposer....tout le monde ne peux pas en dire autant...moi la première!

15. Le mercredi 29 octobre 2008 à 14:50, par heleric1

Cela m'amuse , cette interrogation du trentenaire..L'experience n'étant pas transposable, j'ai seulement envie de dire que l'envie de révolution de la trentaine aboutit, à la quarantaine sur une "révolution mentale"...On renonce à changer le monde, à se changer fondamentalement mais on ne renonce pas à s'affranchir d'énormément de choses. Je trouve les jeunes adultes qui m'entourent extrêmement conventionnels et embourgeoisés et comme me disent affecteusement certains d'eux qui me sont chers: "tu es de plus en plus folle".

Cela n'est peut être que la traduction d'une forme de résignation, d'une incapacité à changer radicalement sa vie..mais bon, ça permet de bousculer aussi beaucoup de choses et de se sentir riche et en marge "à l'intérieur".

(fin de la leçon de mamie)

16. Le mercredi 29 octobre 2008 à 18:19, par pat

elle a la pêche, la mamie ! ;-)
a propos de l' "embourgeoisement" des jeunes, ce qui est frappant c'est qu'aujourd'hui le mot "bourgeois" n"a plus grand sens... Ca veut dire tellement de choses différentes, et vagues, qu'une immense majorité de la population pourrait être taxée de "bourgeoise" !

17. Le mercredi 29 octobre 2008 à 18:20, par pat

un salut au passage à Robert, digne représentant de la normandie ouvrière, et qui s'est fendu d'un sacré com !

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