La littérature sous caféine


Polémique assurée (Entre les murs et Bégaudeau, suite et fin)



Troisème et dernière série de remarques à propos du film Entre les Murs de Laurent Cantet :

Tout d'abord, la grogne des profs contre le film se poursuit, avec par exemple l'article de Libération du Jeudi 6 Octobre écrit par six professeurs, intitulé "Professeures de zones sensibles entre les murs" : l'article dénonce notamment le fait que le film soit centré sur les "moments de dérapage". "Laurent Cantet ne met en scène que les moments durant lesquels "il se passe quelque chose". Cette facilité dramatique finit par dire que le cours n'a de valeur que dans ses dérapages. Sous couvert d'une fausse égalité, le professeur piège ses élèves en faisant mine de les prendre au sérieux, d'ignorer les sanctions auxquelles les réactions les exposent." Je comprends ce point de vue de certains professeurs, même si je ne le partage pas : force est de reconnaître que ces "moments de dérapage", ou en tout cas ces moments où la parole se libère un peu, où le dialogue s'instaure, sont souvent très fructueux, et restent les plus savoureux d'une année. Je ne pourrais donc pas critiquer cet aspect du film.

On a pu lui reprocher également de mettre en scène un professeur en difficulté, qui ne saurait donc être instauré en exemple pour les autres. Je me souviens de cette réaction, assez drôle, de la part d'une amie qui a vu le film en avant-première : "Franchement, je dois t'avouer que je ne savais pas qui c'était, Bégaudeau... Et pendant tout le film je me suis dit qu'il s'agissait d'une oeuvre qui mettait en scène un prof qui se plantait complètement, débordé par ses élèves... Après coup j'ai compris que non, la star du film était bien le professeur, et Bégaudeau lui-même, et qu'il se présentait comme un exemple à suivre ! J'ai halluciné..."

Contrairement à beaucoup, j'ai trouvé que la richesse du film était précisément de montrer un prof en difficulté, mais l'unique reproche que je lui ferais serait justement de ne pas aller assez loin dans cette dimension. Si l'on y réfléchit bien, les élèves sont finalement très sympathiques dans le film. Même le "gros dur" est en fait un "gros dur au coeur tendre", qui ne frappe une fille que par maladresse...

Cela n'a rien à voir avec les classes vraiment difficiles de certains collèges, les agressions physiques qui ont parfois lieu contre les professeurs, la violence verbale beaucoup plus radicale entre élèves eux-mêmes. A cet égard, le film élude un peu le problème. Il suffit de voir le documentaire ci-dessus (Envoyé Spécial, Ecole, la violence entre les lignes) pour se rendre compte que la tension peut monter beaucoup plus haut que ne le laisse sous-entendre le film, même si les scènes de ce genre sont très bien rendues.

Une scène est d'ailleurs symptomatique, et c'est l'une des premières (la seule scène assez ratée, à mon goût) : celle où un professeur dérape et s'emporte en salle des profs contre ces élèves qu'il veut "laisser à leur merde"... Il a vraiment l'air d'un demeuré, d'un extrêmiste ! Le problème est qu'on ne voit pas la violence psychologique qu'il a subie et qui le pousse à bout... La suite du film rattrape largement ce passage qui m'a, sur le coup, vraiment crispé.

Autre remarque de détail : une scène est invraisemblable (beaucoup d'articles l'ont fait remarquer), celle où le professeur accompagne un élève chez le principal en laissant la classe seule. A la fois impensable et irréaliste, car ce serait un joyeux (ou terrible) bordel... Je pense qu'il s'agit même d'une faute professionnelle !

Une de mes scènes préférées est celle où l'adolescent d'origine asiatique avoue la honte qu'il ressent "pour les autres" quand ils sont trop agités... Moment très juste où la parole de l'élève trouve l'expression adéquate, presque fine...

Enfin, et ce sera la dernière remarque, un des moments-clés du film se trouve aussi dans la première moitié, lorsque l'une des adolescentes avoue sa honte d'être française, et que le professeur répond quelque chose du genre : "Je te rassure, moi aussi j'ai honte d'être français..." On pourrait disserter pendant des heures sur ce genre d'échange, et j'imagine à la fois la consternation d'Alain Finkielkraut et les acquiescement silencieux du camp adverse, affirmant qu'effectivement il y a des raisons aujourd'hui d'avoir honte d'être français.

En y réfléchissant un peu, je me dis qu'il y a problème, en tout cas, lorsque des professeurs, censés dresser le cadre par rapport auxquels les élèves définiront leur identité, sapent d'emblée ce cadre en le déclarant honteux... Je ne condamne pas cette réalité, je la constate, et je réfléchis souvent à cette véritable crise d'identité qui me paraît traverser la France depuis quelques années maintenant, sans avoir encore trouvé toutes les réponses - y en aura-t-il seulement jamais ?

Pour conclure sur cette série de billets, le film de Laurent Cantet a l'immense mérite de montrer la réalité, ou certains aspects de la réalité, et de soulever le débat. C'est un mérite, en soi, qui vient compléter ses grandes qualités cinématographiques. De toutes façons, sur ce genre de sujet, quoi qu'on dise et qu'on qu'on veuille montrer, la polémique paraît inévitable...

COMMENTAIRES

1. Le mardi 14 octobre 2008 à 14:18, par mattD

Ouf ! à voir le docu, ca a l'air épuisant de vivre constamment dans ce bruit...

2. Le mardi 14 octobre 2008 à 15:47, par Rosalie B

Je finis de lire l'article de Libé "professeures de zones sensibles entre les murs". Je suis dubitative devant ce manque de recul. Ou est-il dit ou écrit que Laurent Cantet a filmé l'unique réalité du cours de français en classe de 4e. Pourquoi certains profs (de lettres en l'occurrence) se sentent autant remis en question ? je n'est pas perçue François Marin comme le prof idéal, loin de là !!! et pourtant j'ai apprécié ce qui m'était donné à voir, à analyser, à critiquer.... posément !
C'est du "pain bénit" pour les détracteurs de l'école que de voir certains enseignants réagir de la sorte, révélant finalement à quel point ils sont si peu sûr de leur propre pratique !

3. Le mardi 14 octobre 2008 à 18:00, par Olympe

En voyant le film, je me suis dit:

1/ que c'est un film, et pas un documentaire sur le métier de prof
2/ que le prof Marin a beau naviguer dans des eaux compliquées, il est loin d'être un prof idéal et n'est pas présenté de la sorte. au contraire, son jugement, ses sentiments tanguent constamment
3/ que c'est un film utile pour la profession des prof, car elle nous montre, à nous les salariés travaillant dans des mondes d'adultes et avec des moyens (ordi, locaux luxueux, etc etc), que travailler avec des enfants est crevant, stressant et pourtant vital à l'évolution de notre société
4/ que les politiques visant à diminuer le nombre de prof ou de matières sont de pures bétises.
5/ que Cannes a eu raison de mettre les spots sur un film qui sort de l'ordinaire.

4. Le mardi 14 octobre 2008 à 18:09, par pat

je suis d'accord globalement avec ce que je vous dites... c'est plutot une chance pour les profs d'etre au coeur des débats en ce moment. Ca veut dire que le sujet intéresse, et qu'ils ne sont pas seuls dans leur coin.
Cependant il faut comprendre aussi leur susceptibilité : tout le monde a un avis sur leur travail, et c'est tout de meme assez destabilisant d'avoir un public (je parle des élèves) constamment en train de vous observer, de vous tester, et parfois de vous mettre en difficulté. Dans le documentaire on voit cette prof qui avoue que la premiere année, elle pleurait quasiment tous les jours... Tous les jours ! Vous en connaissez beaucoup, vous, des métiers qui bouleversent à ce point ceux qui l'exercent ?
Toujours est-il que le film est bon, je trouve, et que c'est une aubaine pour les profs qu'on découvre enfin ce qu'il peut se passer "entre les murs", effectivement... Et c'est meme une chance qu'on voie ce que c'est qu'un prof en difficulté !! Encore une fois, c'est la qualité principale de ce film, me semble t il ...

5. Le mardi 14 octobre 2008 à 18:14, par Olympe

Tout à fait d'accord ! :)
Et oui, même si le malaise dans les entreprises existent aussi, il ne faut pas oublier celui des profs !
Moi, j'ai pas mal de collègues ou d'amis (financiers, consultants...) qui, en voyant le film, m'ont dit qu'ils ne pourraient jamais faire ce métier, de par sa difficulté intrinsèque. Difficile parce qu'il y a en effet ce regard constant des élèves...

Alors... bravo aux profs et merci de former la marmaille qui sera les adultes de demain, quand même !!

6. Le mardi 14 octobre 2008 à 19:33, par pat

je viens précisément de voir une vidéo assez hilarante sur les pétages de plomb au bureau :
www.dailymotion.com/relev...

concernant la difficulté du travail, on est un peu tous dans le meme sac...

7. Le mercredi 15 octobre 2008 à 16:20, par manue

Ca me fait ricaner gentiment cette "fierté" d'etre francais, ou de ne pas l'etre. Pour moi, c'est comme du chinois. J'ai déja assez de difficultés de vivre avec ce qu'on appelle le "moi", alors si en plus je devais etre "francaise"!
Pour moi la France n'est q'un nom donné a un emplacement sur une carte qui change avec le temps. L'histoire de ce point sur une carte a était et demeure tellement influencé par d'autres cultures, que je me demande ce que cela veut dire dans ce monde de globalization constante.

Quand je rencontre un allemand, italien, ou autre, cela demeure pour moi un "europeen". On a peut etre des saussices et du pain un peu different, des chapeaux avec des ponpons differents, mais dans le fond je vois toujours un Europeen. L'europe et sa vieille histoire, continue de critiquer les mechants etats unis et le modele libéral, pourtant, c'est vers ce modele sociale que l'europe avance. On devient tous également abrutis, et je n'arrive meme pas a avoir un rendez vous chez le dentiste dans le mois, comme si j'étais en angleterre.

Bien sur, on pourrait dire que cela sont géneralisations grossieres, et on pourrait rentrer dans de grands debats. Alors, je constaterais qu'en effet, je peux voir des particularités dans chaque pays europeen, que le Nord de l'europe et trés different du sud de l'europe, etc etc, et cela aurait meme l'air intelligent.
Mais, vraiment, je n'y arrive pas a savoir ce que cela veux dire d'etre "francaise". J'adore ma langue et mon pays de naissance, et meme que parfois je peux tenir des discours un peu chauvins, mais c'est plutot apres du bon vin.

Europeen, americains, je les mets dans le meme sac judeo chretien. L'asiatique continueras de se demander pourquoi nous, de l'ouest sommes si "agités", l'expression populaire "il est completement a l'ouest, ce mec" revient a l'esprit.

Bref, ce chauvinisme, que ce soit de n'importe quel pays, me fait ricaner. Le chauvinisme fonctionne pareil partout. Comme des enfants qui pensent que leurs billes ont des plus jolies couleures, alors que les billes sont toutes faites de la meme terre gadouilleuse. "D'abord, moi ma saussice est plus grande que la tienne!!".
Fier de quoi? Honte de quoi? Chaque pays contient ses propres merdes dont personne ne peut etre fiere dans son histoire. Devrions nous avoir honte d'etre humains?

Je ne pense toujours pas prendre le temps de voir ce film. Mais c'est clair que tout document apportant a la lumiere des sujets de societés sont toujours favorables a ouvrir des discussions. Et les discussions, ca peut apporter des bonnes choses, au moins de voir qu'on est tous autant paumés face a ces points sur carte et ce monde qui bouge autour de nous.

A propos de boulot, c'est sure que chaque boulot a ses propres formes de crises. Mais y'a des boulots qui pourraient disparaitre, et la societe n'iraient pas pire. Par exemple, si demain on coupe par moitier les vieux qui s'endorment a l'assemblee generale mondiale, je ne pense pas qu'on sentirait une difference. Alors que les profs, le corps medical, ben, ca je pense qu'on en a vraiment besoin.
Un dentiste de plus me ferait trés plaisir par exemple!!

8. Le mercredi 15 octobre 2008 à 20:43, par pat

je suis assez d'accord avec toi sur le chauvinisme... avoir honte d'etre français, c'est le symétrique de la fierté d'être français, et les deux pourraient être considérés sous l'angle de la pathologie...
En fait, jusqu'à maintenant, je ne m'étais pas posé la question de savoir si j'étais fier d'être français...
Je commence à me la poser, depuis que j'en entends tellement qui disent leur honte ! j'ai du mal à comprendre, parfois...

9. Le jeudi 16 octobre 2008 à 10:09, par pat

on rejoint d'ailleurs l'actualité, avec le fameux match france-tunisie !
J'ai peur qu'on rentre dans une véritable escalade... C'est évident que la nouvelle règle va inciter à siffler encore plus la marseillaise !

10. Le jeudi 16 octobre 2008 à 12:02, par manue

je crois me souvenir que certains pensaient deja il y a quelques années que l'hymne francais pourraient etre remis a jour? Franchement, c'est vrai qu'il est barbarique et moyen ageux.
Est ce qu'il y a eue des propositions interressante pour une nouvelle chanson cocorico?

11. Le jeudi 16 octobre 2008 à 13:20, par Sophie

Je n'ai pas [encore] vu le film, mais j'ai lu le livre, et je me suis fait la même remarque concernant ce passage où le prof laisse sa classe pour accompagner un élève chez le principal...Perplexe, car je sais que François Bégaudeau a enseigné et que donc, il doit savoir que laisser une classe de 4è seule, même 2 minutes, c'est assez oups...

12. Le jeudi 16 octobre 2008 à 19:38, par hélène

Je ne sais pas s’il y a à être « fière » d’être française (comment peut on être fière d’une qualité dont on n’est pas acteur, on n’a pas à être « fière » de sa naissance ! ) .En revanche je revendique ma « francité » (francitude ?).J’ai beaucoup voyagé à l’étranger et j’ ai un peu vécu aux USA et, quoique que gardant mon esprit critique au niveau de la France (ce qui est très français : je n’ai jamais rencontré de gens dans d’autres pays capables de dire autant de mal de leur pays que les français), je revendique beaucoup de nos « gauloiserie ».

Finalement le personnage d’élève exprimant sa honte d’être française, marque par cette simple réflexion son intégration à cette France à laquelle elle si honte d’appartenir.

Plus qu’un reportage ou un document sur l’école, ce film est un film sur les difficultés de communication par le langage, les quiproquos sur les mots qui génèrent des drames, les approximations d’expressions amenant au contresens . C’est une problématique qui me touche beaucoup , il n’est pas rare , quand j’ai à expliquer quelque chose aux publics à qui je m’adresse , que je donne les définitions exactes de mes mots au préalable , au début de ma « carrière », j’ai, tout comme l’affaire des « pétasses » (qu’elles assimilent à poufiasses sans doute), essuyé pas mal de conflits du à ces problèmes de « définition ».

PS : le correcteur me dit que « petasse » n’est pas adéquat et qu’il faut mettre « pétât »….. J)

13. Le jeudi 30 octobre 2008 à 19:23, par zezette

Je suis globalement d'accord avec toi Mric: mais je résumerais qd même le débat au fait qu'il y a une énorme confusion entre film de fiction et documentaire. Il s'agit bien là d'un film, où les élèves sont des acteurs. On n'est pas dans Zone interdite ! A partir de là, c'est aimable de gloser sur les situations "invraisemblables" du film (là, j'ai une image mentale où je vois certaines scènes de La Belle Personne de Christophe Honoré...peu réalistes aussi). Lorsque l'on fait un film sur les flics (36 Quai des Orfèvres), est-ce que nos amis gardiens de la paix écrivent dans Télérama qu'on maltraite leur image ? Autre point: des métiers où on chiale tous les jours, chépa moi, videur de poissons dans une usine ? Croque-mort ? Nettoyeur de métro ? ...Trader soumis à une pression impitoyable ? Sinon y'a chômeur, aussi.

14. Le jeudi 30 octobre 2008 à 20:02, par pat

j'aime bien quand on sent nettement la petite dent contre les profs ! :-)
y'a pas mal de gens qui n'aiment pas trop la propension chez les profs à se plaindre... Je m'en rends compte tous les jours !
A propos de 36 quai des orfevres, détrompe toi, les flics se plaignaient justement que ce réal ne donnait pas une image tres fidele du travail de la police, et GO FAST a été présenté comme l'un des premiers films à etre réaliste dans ce domaine... (du moins, il a été préparé avec des policiers...)

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