La littérature sous caféine


Aude Lancelin parle des "Petits Blancs" (Marianne, 26/10/2013)



Belle analyse d'Aude Lancelin dans le Marianne du 26 Octobre à propos des Petits Blancs :

Ne tirez pas sur le « petit Blanc »

On ne parle plus que de lui en France depuis quelques années, sans jamais oser vraiment le nommer. Le « petit Blanc », équivalent du white trash américain popularisé par le rappeur Eminem, c’est le Blanc pauvre de la Courneuve, relégué socialement et isolé ethniquement. C’est aussi la femme seule de la banlieue d’Amiens qui hait les « putes blondasses qui se font sauter par des Nègres ». C’est le vieux garçon qui n’ose pas mettre les pieds au havre, aussi bien dans le centre bourgeois que dans les HLM métissés, où il redoute les mêmes regards moqueurs. Le romancier Aymeric Patricot, 39 ans, est allé à leur rencontre et en a tiré un livre : Les Petits Blancs. Un voyage dans la France d’en bas (Plein Jour).

A ces « gueules cassées de la misère », il a posé toutes les questions qui ne se posent pas. Image de soi, perceptions raciales, fantasmes sexuels, envie sociale, rêves enfuis. Il l’a fait et il a eu raison de le faire, car peu d’études permettent à ce point de sortir de la terrible bataille rangée des clichés en train de se mettre en place dans le pays. Un face-à-face insoluble opposant une partie de la gauche, de plus en plus terrifiée par ces classes populaires qu’elle n’arrive plus à envisager autrement que comme du gibier frontiste, des ploucs racistes et menaçants, à une droite hypocrite qui, profitant de l’absence d’un grand parti plébéien populaire autre qu’extrémiste, depuis l’effondrement du PC, a fait de ces anciens « prolétaires » ses nouveaux héros, ses enfants chéris.

Car telle est bien l’alternative perverse en train de se mettre en place dans le pays. Ou vous glorifiez niaisement ce peuple redécouvert, comme le firent les communistes des années 50, et décrétez qu’il faut le justifier jusque dans son ressentiment le plus suicidaire, le vote FN par exemple. Ou vous le décidez irrécupérable, comme le fit en 2011 la fondation Terra Nova, et considérez que tels les rednecks, les culs-terreux mis en scène dans Massacre à la tronçonneuse, il ne saurait avoir d’autre sentiment profond face à une France en train de changer que celui de Meursault chez Camus : « tirer sur un Arabe ».

Le livre d’Aymeric Patricot montre le non-sens d’un tel clivage. Il décrit la complexité des situations sociales, l’ambivalence des sentiments aussi, entre Noirs – ou Maghrébins – et petits Blancs paupérisés, qui peuvent facilement passer de la défiance à l’identification. Extrêmement dure ici est la parole raciste quand elle s’exprime, mais superficielle en définitive, dès que la discussion s’approfondit. On referme au contraire le livre avec le sentiment que c’est décidément par la tête que le poisson aura pourri en France, où les socialistes, exécuteurs des basses œuvres du capitalisme à partir des années 80, auront livré le peuple à toutes sortes d’idéologues aux buts très éloignés de ceux des smicards qu’ils prétendre défendre.

Toute la bourgeoisie intellectuelle qui feint aujourd’hui de s’émouvoir du sort des « petits Blancs » devrait pourtant se le rappeler : quand le pays était ethniquement plus homogène, les oppositions de classes étaient beaucoup plus apparentes et dangereuses pour elle qu’aujourd’hui. Il n’est pas interdit d’y voir la véritable raison de sa passion nouvelle pour les problèmes de voisinage du Blanc pauvre, son ancien ennemi héréditaire.

COMMENTAIRES

1. Le mardi 5 novembre 2013 à 09:32, par aymeric

Contexte inquiétant, ça c'est sûr. J'ai entendu le terme de nombreuses fois sur le terrain, par des gens qui ne percevaient sans doute pas le rapport avec l'ancienne situation coloniale. Un terme pas toujours condescendant, parfois même assez tendre. Je pense que le terme est promis en tout cas à un bel avenir dans un contexte de métissage accéléré. Et je n'ai rien trouvé de mieux pour essayer d'adapter au contexte français ce que les Américains appellent parfois la culture "white trash" (quoi que je définisse le white trash, dans mon livre, comme une version excessive du petit Blancs)

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