Un billet de ma part à propos de la réception des "Petits Blancs", dans le Huffington Post :

Avant même la publication des Petits Blancs (Plein Jour, 2013), l'annonce du titre suscitait la réaction suivante : "Vous allez parler du Front national ?" Mes interlocuteurs ne pouvaient s'empêcher d'établir un rapport entre Blancs pauvres, situés tout en bas de l'échelle sociale, et un parti considéré comme raciste. Or je m'emploie précisément à montrer dans mon livre que ce penchant raciste est un cliché : les "petits Blancs" ne sont pas plus racistes que la moyenne et c'est précisément un des aspects de leur condition que de subir ce genre d'a priori.

M'apprêtant à publier Les Petits Blancs, je craignais donc que ses thèses soient purement et simplement assimilées à celles de l'extrême-droite. Soit que celle-ci se les approprie comme elle a pu le faire avec La France Orange Mécanique (un pamphlet, genre dont ne relève pas mon livre), soit que des journalistes, n'appréciant pas que j'aborde ce thème, à savoir l'émergence d'une conscience blanche parmi les classes défavorisées, me rejettent dans ce camp.

Quelques jours après la publication, je suis rassuré. La plupart des libraires se montrent intéressés. Le Huffington Post, France Culture, Marianne ont fait des comptes-rendus équilibrés, voire enthousiastes, et m'ont semblé pointer une certaine urgence à rendre compte du phénomène. Leurs articles comprennent la nature du projet, sans y voir malice : éclairer l'existence, longuement occultée dans le paysage médiatique français, d'une frange de la population qui prend conscience, depuis quelques dizaines d'années, du fait d'être à la fois pauvre et blanche, ce qui génère un éventail de dilemmes, de questionnements, voire de cristallisations culturelles. J'ai notamment été amené à parler de petits Blancs sur le territoire français parce que, grand consommateur de culture américaine, je constatais combien la figure du white trash (ce "Blanc dégénéré", cordialement méprisé) hantait les arts aux Etats-Unis. Je trouvais étonnant qu'elle soit ignorée de ce côté-ci de l'Atlantique, et je suis parti à sa recherche.

Du côté des lecteurs, fébrilité plus marquée. Les réactions sont immédiatement visibles sur le net où la diffusion des articles suscite une flopée de commentaires. Ils ont l'avantage d'être francs. En quelques jours, j'ai pu cerner les grandes lignes de discorde que suscitait le livre - tout au moins, que suscitaient les articles rendant compte du livre, les réactions au livre lui-même se faisant encore assez rares.

Une bonne partie des commentaires exprime du soulagement à l'idée que la question soit enfin soulevée. Parlons de la pauvreté, disent-ils ; parlons de la prise de conscience d'être blanc, parlons de ces détresses que les classes bourgeoises refusent de considérer, parlons du sujets sur lesquels le Front national ne devrait pas avoir de monopole. Ou bien de la curiosité, mêlée d'inquiétude : Pourquoi donc parler de ces choses-là ? Qu'est-ce que le white trash ? N'y a-t-il pas du mépris à utiliser ce genre de mots ?

Parmi les critiques, deux fronts.

Sur ma gauche, les détracteurs considèrent qu'il est insupportable d'évoquer des questions ethniques, surtout quand il s'agit de Blancs. Les problèmes sont d'ordre social, tous les pauvres se ressemblent. Quel intérêt de mettre les gens dans des cases, des cases dans lesquelles eux-mêmes ne se reconnaissent pas ? Un argument que je comprends, bien sûr. Rappelons simplement que le livre constate, à côté de questions sociales, la réémergence de questions raciales. Et celles-ci viennent singulièrement compliquer le jeu. Il serait absurde de ne pas les étudier - surtout lorsqu'on se targue, comme certains commentateurs, d'incarner l'avant-garde de l'antiracisme.

Sur ma droite, on me reproche principalement deux choses. Tout d'abord ma position bourgeoise, surplombante, tenue pour méprisante. Je ne serais qu'un bobo, passé par les Grandes Ecoles, parfaitement condescendant avec des classes populaires auxquelles je me mêlerais le temps d'un livre. Pire, je ne serais qu'un "journaleux", l'un de ceux qui auraient soigneusement caché les réalités françaises pendant des décennies. Les avis changeront-ils quand le livre sera lu ? J'y parle précisément de ma posture de petit bourgeois, mais aussi de la révolte que j'éprouve lorsque l'on méprise les plus pauvres et même de mon sentiment de fraternité - voire du vertige qui peut être le mien à me sentir si proche des plus démunis. Les commentaires deviennent par ailleurs comiques lorsqu'ils supposent que je gagne grassement ma vie avec ce genre d'écrit. Rirait-on si l'on connaissait le montant des à-valoir ?

Ensuite, on me reproche de ne pas critiquer l'immigration elle-même, ou l'islamisation supposée de la France. Il est vrai que je m'attache à décrire certains effets du métissage sans émettre de doutes sur l'opportunité d'une telle immigration. Mais ce n'est pas le sujet du livre. Et je fais l'hypothèse, de toute manière, que rien ne pourra remettre en cause les récents mouvements de population. L'émergence d'une conscience blanche (surtout parmi les pauvres) me semble acquise. J'ai reçu quelques lettres anonymes me reprochant amèrement cette absence de critique de l'immigration : j'aurais aimé leur répondre qu'elles me paraissaient, concernant mon livre, en partie hors sujet.

En fin de compte, j'ai été relativement surpris par la teneur prérévolutionnaire de nombreux commentaires - qu'ils me soient adressés ou qu'ils expriment une colère proprement stupéfiante vis-à-vis des élites. Mais ils confirment après tout la faille constatée dans le livre entre classes populaires blanches et bourgeoisie blanche, une faille si profonde qu'elle présente tous les stigmates d'une véritable différence raciale, certains bourgeois ne se privant pas d'animaliser ceux qu'ils estiment indignes. "Le jour où ça chauffera, je prendrai les armes." "Je suis un petit Blanc, je me sens méprisé. Quand il y aura révolte, j'en tuerai quelques-uns." "Qu'on les pende !" Le nombre de ces appels à la violence me semble justifier à lui seul qu'on soulève des questions si brûlantes.

Plusieurs journalistes m'ont demandé si ce livre ne faisait pas le jeu du Front National. Je ne le crois pas. Tout d'abord parce que j'y montre une population loin d'être entièrement acquise aux discours nationalistes ou racialistes. Ensuite parce que je montre combien tous les autres partis, à l'image de ce qui se passe aux Etats-Unis, devraient précisément s'intéresser à cet électorat-là sous peine de perdre bien des suffrages mais surtout de laisser se dessiner une véritable ethnicisation du vote. Celui-ci, faisant suite à l'ethnicisation partielle des rapports sociaux, nous en voyons d'ores et déjà les prémices. J'aimerais précisément contribuer à crever certains abcès... Lutter contre les risques de conflits ethniques, ce n'est sûrement pas nier qu'ils puissent exister.