La littérature sous caféine


Paranoïa made in USA (Hubert Selby Jr. / Philip Roth)



Il est frappant de voir à quel point la littérature américaine est traversée par le thème de la paranoïa. Les deux derniers romans américains que j’ai lus sont hantés par des ennemis plus ou moins visibles, et par la folie que cette menace provoque chez les protagonistes. C’est particulièrement frappant dans La Geôle, de Hubert Selby Jr., dont j’avais déjà dévoré Le Démon (qu’on pourrait sous-titrer « roman d’un baiseur ») et Last Exit to Brooklyn (« Roman des mamies qui se shootent »).

Il s’agit ici du monologue halluciné d’un homme apparemment arrêté à tort, et qui se morfond en prison jusqu’au procès des policiers… Qui donc est coupable ? Le système est-il monstrueux ? Sommes-nous tous déments ? Hurlements et délires dans une prose particulièrement brutale… On découvre un Kafka sous amphétamines, en plus douloureux encore et plus terre à terre.

« …mais attendez seulement que vienne mon grand jour au tribulal. Jeleur tricoterai les nefs à ces salauds. Jeles ferai comparaître et jeles réduirai en miettes. Jeles montrerai tels qu’ils sont : de vrais singes. Je les crucifierai les salauds. Jen’aurai pas besoin d’un putain d’avocat pour m’aider à les écraser. Jeferai ça tout seul. Quand je leur aurai réglé leur compte ils maudiront leur mère pour les avoir mis au monde, ces vilaines pédales. Le putain de procureur et le juge pourront bien manipuler toute la merdouille de procédure qui leur plaira. Je m’en fous. Jeneveux qu’une chose : les amener à la barre. C’est tout. Laissez-moi seulement les obliger à déposer et jeles punirai ces pinnespuantes. Jeleur montreraiqui est coupable à ces culs pourris. » (La Geôle, p 166)

Quant à l’avant-dernier opus de Philip Roth, Le Complot contre l’Amérique (Folio, 2007), c’est la paranoïa du Juif qu’il met en scène : Roth imagine quel aurait été le sort des Juifs américains si Lindberg, pilote mythique et notoire antisémite, était parvenu à la Présidence en 1940 à la place de Roosevelt. J’ai hésité à me plonger dans ce roman, car à vrai dire je ne voyais pas vraiment l’intérêt de cette politique fiction...

Cela aurait été sans compter l’étonnant talent de ce type : dès les toutes premières pages on est happé par le réalisme étourdissant de sa fiction, et la démonstration devient passionnante. C’est une vie fragile qu’on découvre, celle de familles entières que l’Histoire aurait pu menacer. L’émotion naît de l'infime décalage avec le réel, et du fantasme de basculement dans l’horreur. Je ne me voyais lire qu’une cinquantaine de pages de ce livre, je vais être bien obligé de le finir…

COMMENTAIRES

1. Le mardi 29 janvier 2008 à 10:14, par Olympe

J'ai le livre de Roth sur ma table de chevet depuis qques mois, il attend patiemment son tour... et il s'est fait passé devant plusieurs fois déjà ! (peut-être que c'est parce qu'il est en anglais, le pauvre...) Ton post m'a convaincu de m'y plonger !

2. Le mardi 29 janvier 2008 à 10:32, par pat

il m'a fait le meme effet ! il a trainé pendant des semaines sur ma table de chevet ! il faut vraiment faire un effort pour s'y plonger...

3. Le mardi 29 janvier 2008 à 11:45, par Philippe

Le bouquin de Roth n'est pas de la politique-fiction : c'est une uchronie.

Philippe, à cheval sur les termes. ;-)

4. Le mardi 29 janvier 2008 à 13:14, par hélène

Mais un écrivain génial n' est pas forcément maudit ...
Ceci étant P.ROTH, je vais y venir un jour , mais il fait partie de ces écrivains dont on m'a dit qu'il fallait lire son oeuvre "dans l'ordre"..or, ne m'étant pas encore penché sur cet "ordre" , je palpe souvent ses livres et les repose ...ignorant si j'ai le "bon ordre" entre les mains.

5. Le mardi 29 janvier 2008 à 13:20, par Philippe

J'ai lu le fameux "Portnoy et son complexe", cela m'a dissuadé de lire d'autres romans de Roth... mais j'y reviendrai probablement un jour tant les critiques sont élogieuses.

Par contre, j'adore Selby Jr.

6. Le mardi 29 janvier 2008 à 19:34, par pat

c'est vrai que Roth peut etre assez exaspérant quand il parle de sexe, ou qu'il parle de sa famille (de ses femmes, ou de ses enfants)... mais quand il parle politique, quand il fait le portrait d'un pays, d'une ville, d'une communauté, ou qu'il raconte une histoire, c'est un maître !

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