Aymeric Patricot : Les synonymes de Colette (Colette/Sacha Guitry/Oscar Wilde)

Les synonymes de Colette (Colette/Sacha Guitry/Oscar Wilde)

Par admin, mercredi 25 juillet 2007 à 19:29 :: Littérature française :: #253 :: rss

Dans un recueil d’aphorismes de Sacha Guitry, Toute réflexion faite (des aphorismes qui valent d’ailleurs bien souvent ceux d’Oscar Wilde), je tombe sur celui-ci :

« Colette.
Elle préfère les synonymes – et c’est bien ce qui rend sa phrase si jolie. »

Je ne sais pas dans quelle mesure il s’agit d’une pique, mais en inconditionnel de notre gironde auteur, je me suis précipité sur le premier volume de Colette dans ma bibliothèque pour essayer de trouver un passage qui pourrait correspondre.

Or je suis tombé sur une page remarquable, qui, par sa relative sobriété, semble contredire le bon Sacha :

« Mes amis véritables m’ont toujours donné cette preuve suprême d’attachement : une aversion spontanée pour l’homme que j’aimais. « Et s’il disparaît encore, celui-là, que de soins pour nous, quel travail pour l’aider, elle, à reprendre son aplomb… »
Au fond, ils ne se sont jamais tellement plaints – bien au contraire – ceux qui m’ont vue leur revenir tout échauffée de lutte, léchant mes plaies, comptant mes fautes de tactique, partiale que c’en est un plaisir, chargeant de crimes l’ennemi qui me défit, puis le blanchissant sans mesure, puis serrant en secret ses lettres et ses portraits : « Il était charmant… J’aurais dû… Je n’aurais pas dû… » Puis la raison venait, et l’apaisement que je n’aime pas, et mon silence, trop tard courtois, trop tard réservé, qui est, je crois bien, le pire moment… Ainsi va la routine de souffrir, comme va l’habitude de la maladresse amoureuse, comme va le devoir d’empoisonner, innocemment, toute vie à deux… »

(Colette, La Naissance du jour)

Le genre de page à vous attacher toute une vie à un auteur.

Même si je ne me reconnais pas dans cette formule : « L’apaisement que je n’aime pas… » Mais doit-on forcément aimer un auteur pour se reconnaître en lui ?

En fait le défaut de Colette me semble moins consister dans son goût pour les synonymes, que dans sa recherche du terme rare (ce qui n’est pas exactement la même chose), des associations surprenantes ou des métaphores exagérément végétales. Y avait-il par exemple besoin, dans cette description du corps d’un homme, de parler de « bois brûlé » ?

« Elle vit, comme elle l’avait vu tant de fois, noir au-dessus d’elle, faunesques et barbu, ce grand corps brun exhalant une odeur connue d’ambre et de bois brûlé… » (Colette, L’Ingénue Libertine)

COMMENTAIRES

1. Le mercredi 25 juillet 2007 à 20:54, par Hoplite

Attention au "bois brûlé", Monsieur Pat ! ;-)

1. Il faut voir tout le passage (paragraphe, page, chapître...) pour voir si l'auteur ne développe une "isotopie", un champ lexical (par exemple la brûlure amoureuse, les feux ardents de l'amour ou alors à contrario, la fleur fragile, la rosée, etc...)

2. Voir également s'il n'y pas la construction d'une antithèse portant sur les couleurs : "noir, brun, brulé" s'oppose peut-être à des couleurs plus douces, moins connotées négativement (ex la blancheur virginale de la jeune fille ?).

3. "Le bois brûlé" renvoie à une vision infernale (feux des enfers) ou diabolique contenu dans la figure du Faune traversant les bois.

4. On a là une belle allitération en [b] : barbu, brun, ambre, bois, brûlé... ;-)

Tout ça pour dire... qu'elle n'a sûrement pas utilisé ces termes au hasard la mère Colette !
Enfin... faut voir ça de plus près en tout cas !

Cordialement !

2. Le mercredi 25 juillet 2007 à 21:10, par lila

Voila pourquoi j'aime ce blog : pour ces superbes extraits d'une rare justesse que tu nous donnes à lire quelquefois...
Tu es un fonctionnaire altruiste qui permet à ceux qui ont peu de temps, de découvrir la grâce des auteurs.

Quant à "l'odeur d'ambre et de bois brûlé", je comprends ce que la si "femelle" Colette veut dire. Le corps d'un homme nous évoque parfois des images et des odeurs très subtiles, il n'est pas aisé de mettre des mots dessus car tout ceci n’est dans le fond que de l'ordre de l'instinct féminin et de la sensation pure.

3. Le mercredi 25 juillet 2007 à 21:23, par lila

Et voilà ! Hoplite nous offre une magistrale et passionnante analyse "du bois brûlé" quand moi, j'étais déjà partie sur le chemin de la sensation et de l'instinct féminin, la belle affaire ! (En fait, je crois que c'est lui qui détient la vérité, du moins sur ce coup là...).

Bonne suite de vacances les profs de lettres !

4. Le mercredi 25 juillet 2007 à 22:04, par Hoplite

Noooon, l'intuition, l'instinct et la sensation, c'est irremplaçable (surtout quand c'est féminin!).
Le reste n'est que littérature... et prise de tête :-)

PS : moi ce que j'aime dans ce blog, c'est qu'on y apprend ce que les femmes apprécient dans un corps d'homme ! :-)

5. Le mercredi 25 juillet 2007 à 22:18, par Mimi

personnellement, j'aime les "termes rares" , ou les alliances inattendues: elles me font rêver,voyager...
En tous cas, quel beau passage de Colette !!

6. Le vendredi 27 juillet 2007 à 12:48, par mister pat

parfaitement d'accord avec toi, hoplite, les mots de Colette sont toujours extremement bien choisis... C'est à la fois sa qualité, et son défaut ! Sa qualité, parce que ses romans ressemblent à de la poésie en prose
Son défaut, parce que ca sent parfois la pose...
Quant aux odeurs des hommes, lila, j'ai toujours été frappé que les femmes y accordent tant d'importance... combien de fois j'ai entendu des femmes dire qu'elles ont été marquées par l'odeur de leur homme... J'ai l'impression que les hommes, eux, ont un rapport plus "visuel", dirons nous...

7. Le vendredi 27 juillet 2007 à 16:52, par lila

Disons plutôt que nous développons un sens en particulier en fonction de chaque rencontre et de chaque homme. (Enfin, c'est peut-être juste mon fonctionnement ça...)

8. Le lundi 30 juillet 2007 à 14:00, par Christie

moi aussi j'aime ton blog.. j'aime car on y sent une joie (jouissance) devant la phrase, celles que tu lis, celles que tu écris.. le plaisir est contagieux

9. Le lundi 30 juillet 2007 à 16:04, par mister pat

merci christie !
to tu as le courage de miser sur l'émotion... Tu parles de choses tres intimes, et tu offres quasiment ton coté le plus vulnérable... et il faut reconnaitre que c'est tres réussi !

10. Le vendredi 24 mai 2013 à 03:50, par payday loans