lundi 25 février 2013
Bonheur d'apaisement, bonheur de passion (Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent)
Par admin, lundi 25 février 2013 à 11:46 :: Littérature étrangère
Les Hauts de Hurlevent Bande annonce du film par LE-PETIT-BULLETIN
Un bien étrange roman que ce classique anglais du 19ème, Les Hauts de Hurlevent. L’argument aurait été parfait pour une tragédie classique : un père adopte un Bohémien ; ce dernier provoque la jalousie du fils légitime et suscite l’amour de la fille, mais cette dernière au lieu de l’épouser choisit un homme de son rang. Cela provoque chez l’enfant adopté une terrifiante envie de vengeance. Elle emportera dans le malheur deux familles entières, et sur deux générations.
Seulement, au lieu de s’en tenir à ce fil narratif, l’auteur prend le parti d’un incroyable déluge de manipulations, d’un flux torrentiel de sentiments excessifs. On a l’impression que les personnages – et surtout la Catherine amoureuse du bohémien et préférant un mariage bourgeois – se ruent délibérément dans le malheur, refusant les choix tranchés, privilégiant l’extase et le désespoir. Que de méchancetés, que de soupirs délirants !
Que de rebondissements invraisemblables, aussi. Ou bien des rebondissements présentés en trois phrases alors que l’auteur aime tant par ailleurs étirer sa prose : les péripéties ne sont que prétextes à nouveaux développements passionnés. Prolonger la vie, prolonger l’intrigue pour mieux souffrir et mieux sentir chaque supplice ! Ce n’est pas pour rien que le livre est considéré comme un chef-d’œuvre du romantisme : on dirait un bréviaire de tout ce qu’il est possible d’endurer en termes de vertiges et de passions.
Dans ce maelstrom, superbe par moments, une page se détache à mes yeux, une page étonnamment classique où Cathy, la fille de la première Catherine, parle de bonheur avec Linton, son cousin – et je pense qu’il est très juste de distinguer comme elle le fait deux bonheurs possibles, un bonheur d’apaisement et un bonheur de passion. En fin de compte, il me semble que tous les malheurs des personnages d’Emily Brontë découlent de cet affrontement, chez eux, entre ces deux conceptions, soit qu’elles séparent les personnages, soit qu’elles déchirent les consciences :
« Il avait prétendu que la manière la plus agréable de passer une chaude journée de juillet était de rester étendu du matin au soir dans les bruyères sur un coin de la lande, cependant que les abeilles bourdonnent comme en rêve autour des fleurs (…) La mienne était de se balancer dans un arbre au feuillage bien vert et bruissant, alors qu’on sent souffler le vent d’ouest et que de beaux nuages blancs passent rapidement dans l’espace. Et comme oiseaux, non seulement des alouettes, mais des grives, des merles, des linottes, des coucous, qui font de la musique de toute part ; au loin, la lande qu’on aperçoit, coupée de vallons sombres et frais, de crêtes couvertes d’herbes hautes qui ondulent comme des vagues sous la brise (…) Il voulait que tout repose dans une extase tranquille, et moi, je voulais que tout vibre dans une gloire étincelante. Je lui dis que son paradis ne serait qu’à moitié en vie, et il me dit que le mien serait ivre. » (Hauts de Hurlevent, Folio, page 289)