La littérature sous caféine


Cultiver l'indifférence - entretien express avec Solange Bied-Charreton pour "Enjoy"



Le premier roman de Solange Bied-Charreton, Enjoy (Stock, 2012), se présente comme une belle satire de la net generation et des comportements pathologiques découlant d’une fréquentation assidue des réseaux sociaux.

Mais j’y vois bien plutôt le portrait, tout en mélancolie, tout en retenue, tout en douceur, d’une génération désabusée, cultivant une savante indifférence pour le monde.

Par exemple, ce portrait touchant du père du narrateur en homme n’ayant pas profité de la vague d’euphorie des Trente Glorieuses :

« Mon père avait avalé ces décennies de travers, et celles d’après, de force. On ne s’expliquera pas, par ces lignes, les causes de sa rigidité, on s’échinera uniquement à exposer le contexte euphorique et la réaction contre-euphorique qu’il développa. Des Trente Glorieuses, il avait gardé les dents serrées, comme après un divorce ou le suicide d’un ami. Un antibiotique gobé de force, une pilule contraceptive rendant impossible la régénération des rêves, quelques joies avortées, des cigarettes jamais achetées, jamais fumées, jamais consumées dans le cendrier que lui avait offert sa fille en maternelle à l’occasion de la fête des Pères dans les années 80 » (Page 40)

Ou encore, l’évocation du contexte social actuel, marqué par le désenchantement, notamment chez tous ceux qui espéraient trouver un sens dans la vie professionnelle – éditeurs, écrivains, professeurs…

« Les journalistes ne réussiraient pas tous. Les places seraient chères et le talent rare ; on souhaiterait qu’ils écrivissent pour informer ; cela serait rapide, enjoué, mais pas analytique. Certains, reporters en province pour la télé régionale, seraient heureux de chroniquer des chiens écrasés. (…) Les enseignants, quant à eux, constitueraient groupés les statistiques navrantes d’une perte de romantisme éperdu. Armés du maigre prestige de la réussite au concours, ils tenteraient avant tout d’embrasser le confort. (…) Leurs élèves ne sauraient pas parler le français et ils étudieraient pourtant L’île des esclaves de Marivaux en seconde générale. » (page 174).

Le roman se clôt sur un élégant constat d’indifférence vis-à-vis du monde, sans doute accentué par la consommation névrotique d’images et de virtualités, mais qui me semble trouver ses racines dans un mal-être plus profond, lié à l’époque toute entière :

« Je n’ai pas vieilli. J’ai assiste au théâtre du monde sans parvenir à m’en dégoûter pleinement, l’enfer comme le paradis tenus à distance. Je n’ai pas réussi à me détruire comme je le voulais, à ne plus aimer la vie ou à l’aimer intensément. Cette fièvre je l’aurais désirée de mon sang. Cet amour ou cette haine, je ne les possédais pas. »

Trois questions à l'auteur :

1) Quelle description ferais-tu de ta génération ?

Je n’en ferais pas une mais plusieurs, je ne parviens pas à trouver d’unité entre ses membres. Nous n’avons ni les mêmes rêves ni les mêmes regrets. Il y a des castes, sans doute. Des efficaces pragmatiques, des paumés retardés romantiques. Notre point commun ? On télécharge de la musique et on se fait des playlists qu’on écoute dans le métro, on a un compte Facebook... Cela suffit-il pour autant à nous caractériser ? Ce serait si simple ! Dans Enjoy, j’ai fait une description assez négative de ma génération. Il m’a fallu noircir le tableau pour en sortir quelque chose tout à la fois comique et triste. J’ai décrit une génération de jeunes gens ennuyés (ennuyés par leur boulot, ennuyés par leurs loisirs), avec des repères familiaux incertains. C’est souvent ainsi que je nous vois. Le personnage principal, par exemple, est à la fois fasciné et effrayé par son père … et un jour tout s’effondre, ce malheureux devient fou et part à l’asile. Il y a une perte de direction globale que je voulais décrire (pour le dire précisément : perte de repères familiaux, perte du sentiment d’utilité au travail, avec des relations et des loisirs de plus en plus virtuels).

2) Quel rapport est-ce que tu entretiens avec le monde du web ?

J’entretiens de bons rapports avec ce petit monde ! Mais ce sont des rapports de plus en plus lointains. Blogueuse durant cinq ans, j’en ai été une exploratrice à mon échelle, une flâneuse sans répit. Aujourd’hui je me tiens en retrait mais l’intérêt reste le même, j’ai conscience de la force du média, du pouvoir viral des liens, de l’influence que peuvent avoir des blogs fréquentés, des réseaux sociaux. Je suis pour ma part retirée du jeu mais je ne néglige rien de ce qui se passe sur la Toile. Je lis beaucoup la presse sur le web, je lis des blogs (le blog de Pierre Assouline, le blog littéraire de l’Obs, par exemple) et j’utilise Facebook (contrairement à ce que certaines personnes ont cru après avoir lu Enjoy, j’aime Facebook !).

3) Pourrais-tu nous citer quelques auteurs dont tu penses qu'ils proposent une vision intéressante du web ?

Je vais avoir un peu de mal à répondre à la question, car je ne lis pas beaucoup d’auteurs qui évoquent Internet. Je garde tout de même en mémoire La Grande Intrigue (Stock, 2005-2010), de François Taillandier, avec l’épisode de la « Web Mamy », une grand-mère qui ouvre un site internet sur lequel elle raconte tout des membres de sa lignée. Cela part d’un bon sentiment et ça finit par exaspérer tout le monde dans la famille ! Ce tome de La Grande Intrigue (Telling) est sorti je crois avant l’explosion de Facebook mais on trouve déjà en germes, dans le chapitre de la « Web Mamy », ses travers principaux : exhibitionnisme et voyeurisme. Pour le reste, il y a récemment La Théorie de l’information d’Aurélien Bellanger (Gallimard, 2012), dont l’ambition documentaire impressionne justement à propos d’Internet, des raisons de son succès, de sa destinée économique, de la manière dont le réseau écrit l’histoire des hommes depuis une trentaine d’années. Cette entreprise m’a paru intéressante et à la date d’aujourd’hui une quasi nécessité. Continuons ainsi de courir les champs (magnétiques) : la « vraie vie » est partout, y compris ailleurs.

COMMENTAIRES

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