Le premier roman de Carole Fives, Que nos vies aient l'air d'un film parfait (Le Passage, août 2012), est un livre déchirant. L’histoire est terrible : un couple divorce et décide de répartir les gardes. La fille restera chez le père, le fils chez la mère. Et le partage serait déjà cruel sans le détail qui scelle la tragédie : la mère, bipolaire, sans doute déjà responsable de l’échec du couple, fera peser sur le fils tout le poids de sa rancœur et de son instabilité. S’en suivront, chez les protagonistes, douleurs et mauvaise conscience.

« Après il y a encore eu des moments bien sûr, des petits bouts d’enfance ça et là, mais rien n’a plus été pareil. » (Page 17)

L’habile distribution des voix narratives accentue l’émotion : trois personnes prennent tour à tour la parole, le père, la mère et la fille qui s’adresse à son frère en utilisant un « tu » cherchant à retranscrire ce qu’il éprouve :

« Le père a commencé, « Nous avons quelque chose à vous annoncer ». (…) D’habitude, les parents ont rarement l’occasion de se confier à toi comme ce matin. C’est une famille qui déjà n’en est plus une et où il n’y plus grand-chose à se dire. A moins que ce ne soit une famille où il y ait tellement de choses à dire que plus aucun mot n’en sorte. Comme quand la bouche est tellement pleine que si on l’entrouvre, ce n’est pas un mot qui arrive, pas un tout petit mot, mais tout un tas de mots emmêlés, qui à la fin forment un bruit étrange, à peine un cri. » (Page 11-12).

La voix de la principale victime, elle, brillera par son absence, jusqu’aux dernières pages du livre où l’on découvre une lettre affectueuse du frère à sa sœur, parti vivre sur les routes de Roumanie.

« Il paraît qu’il y a pire petit frère, il paraît qu’il y a des familles où l’on ne divorce pas alors qu’il vaudrait mieux. Ce n’est pas à toi qu’il faut raconter ça, ce n’est pas le genre de pilule que tu vas avaler si facilement, pourtant ce sont des gens concernés qui le disent, des enfants de couples non divorcés non séparés qui disent « tout plutôt que la lente montée de la haine, pire, de l’indifférence, tout plutôt que le statu quo, et si vous croyez qu’on apprend l’amour dans une famille où il n’y en a pas. » » (page 45)

Une pudeur, une qualité d’écriture, une économie de moyens qui font penser à Olivier Adam si ce n’est que la fiction, réduite à la plus simple expression, s’approche autant que possible d’une expérience que l’on devine très sensible.

Entretien rapide avec l’auteur :

- Une question que je devrais me retenir de poser : Quelle est la part de vécu dans ce livre qualifié de roman ?

Rien n’est vécu, tout est vécu. Rien n’est vrai, tout est vrai. Le réel n’est qu’un prétexte pour la fiction, comme je crois dans tous les romans.

- En tête du chapitre III, tu places en exergue une citation de Charles Juliet. Un commentaire ?

De Charles Juliet, je ne connais pas le journal, mais surtout la poésie. La poésie permet d’aller dans des endroits que ne permet pas le roman. La poésie n’est pas prisonnière du visible comme le roman, et ce poème en exergue, annonce le parcours du frère, dans l’ultime partie du roman.

Tu ne me demande pas pourquoi j’ai mis Laurent Mauvignier en exergue de la deuxième partie, mais je te le dis tout de même, c’est en reposant le livre de Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli, que j’ai immédiatement entamé l’écriture de Que nos vies aient l’air d’un film parfait. J’ai beaucoup pensé aussi à Loin d’eux, du même Mauvignier, en l’écrivant.

- Trois auteurs dont tu rêverais d’avoir écrit les livres, et pourquoi ?

« Tu ne t’aimes pas », de Nathalie Sarraute, parce que tout est dit, tout est vu, perçu, comment écrire après Sarraute ?
« Eau sauvage », de Valérie Mréjen, parce qu’elle a inventé une langue, et ce n’est pas si fréquent.
« Mauvaise journée, demain », de Dorothy Parker, pour son humour et sa lucidité.