La littérature sous caféine


Comment réduire sa vie en chiffres ?



Jolie conférence, mardi dernier, sur le thème des Journaux d’écrivains (organisée par la joyeuse équipe des « rendez-vous littéraires », Ariane Charton et Lauren Malka) : Michel Braud, notamment, y a évoqué le journal de Benjamin Constant, un journal que j’aime beaucoup par le contraste entre ses premières pages, amples et romantiques (quoi que très cruelles avec les femmes) et les dernières, se réduisant à des séries de chiffres : Constant avait dressé la liste d’une petite vingtaine de choses revenant constamment dans sa vie (le travail, l’envie de renouer ou de rompre avec telle personne, les soucis de tel ordre…) et il se contentait, lassé par les confidences littéraires, de noter chaque jour les chiffres correspondant à ce qu’il faisait.

Ce système m’a toujours fait rire. J’aime beaucoup ce mélange de désinvolture et de cynisme (légèrement désespéré).

Il faut dire que je ne suis pas loin d’être aussi fou – je vais même plus loin que Constant dans la folie maniaque et l’amour des statistiques : depuis deux ou trois ans maintenant, j’ai pris l’habitude de noter rapidement ce que je fais chaque jour, tout en précisant le nombre de pages écrites. Je fais un bilan chaque semaine, chaque mois, chaque année, poussant la perversité chiffrée jusqu’à mettre une note (de une à cinq étoiles) mesurant chaque mois mon degré de bonheur. Puis j’établis une moyenne mensuelle par année – ainsi qu’une moyenne du nombre de pages écrites.

Réfléchissant au sens de cette démarche, je pense qu’elle me permet à la fois d’apaiser le sentiment d’une vie qui s’écoule sans qu’on en retienne rien, et de m’obliger d’une certaine manière à être heureux. Cette décision de parvenir à toujours plus de sérénité s’est faite en moi il y a quelques années maintenant. Cela peut paraître mesquin, dérisoire, pathologique, cela ne m’aide pas moins à peaufiner comme un petit art du bonheur quotidien – ce qui n’a rien de superflu quand on s’est intéressé bien trop tard, comme moi, au simple fait de bien vivre.

COMMENTAIRES

1. Le jeudi 3 mai 2012 à 15:50, par Snödroppe/Sophie

Je trouve ça surprenant, original, atypique, inventif...Bref, top! Parce que tu as su t'inventer un outil qui te convient pour "peaufiner ton petit art du bonheur quotidien". Et que tout le monde n'en est pas capable. Merci de le partager avec nous!

2. Le jeudi 3 mai 2012 à 16:46, par pauline

moi je compte les kilos et je note tout ce que je mange

3. Le jeudi 3 mai 2012 à 20:01, par aymeric

d'un point de vue statistique, je pense effectivement que les hommes sont plus nombreux à noter leurs performances diverses, les femmes différentes informations touchant leur corps ou leur santé... :) (cela dit sans vouloir faire de mauvais esprit)

4. Le samedi 5 mai 2012 à 21:30, par manue

ah le grand art de la vie simple. Cela me fait un peu peur d'ailleurs. J'ai peur de totalement m'y laissais aller, parce que peut etre que de juste bien vivre detruit tout desir de faire de l'art...d'ecrire pour respirer, de peindre pour exprimer les neuroses interieures, de chanter pour hurler ses peines...j'ai peur que dans l'art de la vie simple il n'y ai aucune place pour l'art, l'Art devenant la vie en elle meme, sans artifice, sans rien que de preparer une bonne tasse de the, de la boire goutte par goutte, d'aller au marche choisir un legume a la fois et de sourire a ce monde de fou sans y prendre part...l'art de la disparition est un grand art aussi:)...je compte les jours avant que je ne trouve plus aucun interet dans ce que les hommes appelle "l'art", ce que d'autres appellent des psychoses. ce jour ou la vie elle meme devient le grand Art, une merde dans la rue, un tableau de maitre, une feuille qui roule dans la rue...tout devient art alors...

5. Le lundi 7 mai 2012 à 13:56, par aymeric

tiens, je n'avais jamais vu les choses sous cet aspect, mais c'est vrai qu'en voulant approcher le quotidien l'art prend sans doute le risque de s'affadir, voire de disparaître, de s'effacer... Ca me fait penser au journal de Gide, que je découvre en ce moment... Et je trouve, curieusement, que c'est dans ces pages "quotidiennes", souvent banales, que Gide approche d'une forme de beauté, de spontanéité qu'il atteint moins dans ses romans, souvent compassés... Mais certains diaristes, moins doués, tombent c'est vrai dans l'insignifiance

6. Le lundi 27 mai 2013 à 22:48, par cheap jordans

Thank you for the sensible critique. Me & my neighbor were just preparing to do a little research about this. We got a grab a book from our area library but I think I learned more clear from this post. I'm very glad to see such great info being shared freely out there.

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