La littérature sous caféine


Faut-il brûler La Colline inspirée ? (Maurice Barrès)



Je poursuis ma découverte des « auteurs maudits » du 20ème siècle, tous ceux qu’un mauvais positionnement politique a rendus sulfureux, tous ceux dont on ne peut prononcer désormais le nom sans provoquer un regard de désapprobation.

Après Drieu la Rochelle et les bordées haineuses de son journal (mais également ses minutieuses préparations mentales à l’idée du suicide, qui ne sont pas sans rappeler celles de Mishima), je me plonge dans Maurice Barrès et sa fameuse Colline inspirée, roman puissamment admiré pendant la première moitié du 20ème siècle, tombé dans l’oubli depuis, sinon même cordialement détesté pour la personnalité de son auteur (un des grands nationalistes de l’époque) ou pour sa vision « droitière » de la France – la détestation forçant aussi l’oubli, sans doute.

C’est un roman terriblement daté par son thème et par son double postulat théorique : d’une part il existerait des « lieux où souffle l’esprit » (Barrès prend pour exemple la colline de Sion-Saxon, en Lorraine), d’autre part il y aurait dans cette région française une lutte, et un équilibre, entre deux types de forces : les forces païennes, forces d’énergie pure, et les forces chrétiennes, forces de pacification, de maîtrise… Les secondes couvrent les premières, les organisent, mais les première sont indispensables pour insuffler de l’énergie vitale dans le roman national.

Sans aller jusqu’à trouver nauséabondes ces théories-là, on peut se sentir très éloigné, et même totalement étranger, à ce genre de considérations sur les forces germaniques en latence dans certaines régions française. Et pourtant, le débat n’est pas jamais loin de renaître de ses cendres. Récemment, les polémiques sur les « racines chrétiennes de l’Europe » abordaient précisément ces questions-là – je ne suis d’ailleurs pas vraiment d’accord avec cette idée des « racines chrétiennes » : imprégnation, sans doute, puissante influence, sans aucun doute (une influence dont nous sentons surtout aujourd’hui l’influence esthétique), mais quelques maigres connaissances en Histoire m’inclinent à penser qu’il s’agit surtout d’une greffe (parmi d’autres), une greffe ayant merveilleusement pris, sur un immense terreau de croyances et de mœurs bien plus ancien que celui du simple christianisme.

Bernard-Henri Lévy, dans son Génie du Judaïsme (une partie significative de son volume Pièces d’identité (Grasset, 2010)), posait également la question du nazisme et de la complicité du christianisme dans cette horreur : contrairement à l’idée reçue voulant que l’Eglise ait contribué, par des siècles d’antisémitisme, à l’émergence du cauchemar allemand, il semblerait qu’il aurait été préférable qu’elle s’enracine davantage dans le peuple allemand pour mater, pacifier autant que possible les forces païennes et le fantasme d’un peuple aryen.

On comprend que BHL déteste Barrès et qu’il en fasse l’un des inspirateurs de ce qu’il appelle souvent « la période la plus sombre de notre Histoire ». Il lui réserve d’ailleurs quelques passages cinglants, dans Le Génie du Judaïsme, allant jusqu’à célébrer l’idée qu’il soit préférable, après tout, de ne pas avoir lu du tout La Colline inspirée : « La France comme idée ? Il faut, pour penser cela, être imperméable à cette peste qu’a été, dans la littérature française, la pensée de Maurice Barrès. Il faut, si possible, contrairement à l’essentiel du XXe siècle, contrairement à Aragon, contrairement à Malraux lui-même, ne pas avoir lu du tout La Colline inspirée et le reste. C’est fou l’influence qu’a pu avoir, en France, La Colline inspirée ! C’est incroyable, presque impensable aujourd’hui, l’écho que le barrésisme a pu avoir ! Eh bien c’est un autre mérite de Gary de ne jamais avoir trempé là-dedans. Et je ne saurais dire s’il détestait Barrès un peu, beaucoup, passionnément – le fond de l’affaire c’est qu’il ne l’avait sans doute pas lu. Et cela lui donnait – même si personne ne le dit, même si on ne le cite jamais – un avantage, une force, considérables par rapport à la plupart de ses contemporains. » (Pièces d’identité, page 439).

Ce qui est intéressant, quand on compare cependant les positions de Barrès et de Bernard-Henri Lévy, c’est qu’ils font référence aux mêmes entités, aux mêmes forces, sans leur attribuer cependant les mêmes « quotients de positivité » : Barrès appelle à l’équilibre entre forces païennes et forces chrétiennes, BHL condamne fortement les premières et reconnaît la puissance civilisatrice des religions monothéistes.

Je n’en suis qu’aux premières pages de la fameuse Colline, et si le propos peut prêter à sourire (voire à frémir), il est indéniable cependant que la plume de Barrès soit splendide, que ce soit :

- dans les descriptions (« En automne, la colline est bleue sous un grand ciel ardoisé, dans une atmosphère pénétrée par une douce lumière d’un jaune mirabelle. J’aime y monter par les jours dorés de septembre et me réjouir là-haut du silence, des heures unies, d’un ciel immense où glissent les nuages et d’un vent perpétuel qui nous frappe de sa masse. »)

- dans les passages de lyrisme politique (« Ce lieu nous dit avec quelle ivresse une destinée individuelle peut prendre place dans une destinée collective, et comme un esprit participe à l’immortalité d’une énergie qu’il a beaucoup aimée. »)

- ou même dans les affirmations philosophico-lyriques les plus à même de susciter l’indignation de nos contemporains – qu’on en juge par la phrase suivante, presque comique tellement elle concentre d’idées jugées détestables aujourd’hui : « Voilà notre cercle fermé, le cercle d’où nous ne pouvons sortir, la vieille conception du travail manuel, du sacrifice militaire et de la méditation divine. »

En dépit de ce préambule somptueux, j’ai peur que la suite soit à la fois trop longue et monotone (je crois me souvenir avoir essayé, en vain, de lire ce roman adolescent)…

COMMENTAIRES

1. Le vendredi 24 février 2012 à 12:36, par hélène

"les déracinés" m'était tombé des mains (chiant et pontifiant) , à un tel point que je n'en n'ai même pas apprécié le "style" .
Et ce fut ma première et dernière lecture de BARRES.

Dans le style sulfureux , je voudrais lire Brasillach , l’autre jour, une dame lisait « comme le temps passe » dans le métro et j’ai failli lui demander ce qu’il en était.

2. Le vendredi 24 février 2012 à 16:26, par Erratum

Le Sion qui figure sur votre photographie n'est pas le bon : c'est celui qui est en Suisse, au bord du Rhône.

3. Le vendredi 24 février 2012 à 19:31, par aymeric

@ erratum : oui, c'est vrai... et en même, temps, cette photo est plus belle que celles que j'ai pu trouver de la véritable colline ! n'illustre-t-elle pas à merveille l'idée d'un lieu où "soufflerait l'esprit" ? Disons que c'est une illustration métaphorique de l'article ! :)

4. Le vendredi 24 février 2012 à 19:33, par aymeric

j'ai le vague souvenir aussi d'avoir essayé de lire Les Déracinés, sans succès non plus... Quant à Brasillach, j'ai aussi le souvenir d'avoir laissé tomber (décidément) la lecture d'un recueil de nouvelles sur la couverture duquel se trouvait une belle feuille d'automne. j'ai l'impression que brasillach a moins bonne réputation (d'un point de vue littéraire) que Drieu, mais j'ai prévu d'en lire au moins un

5. Le jeudi 8 mars 2012 à 10:29, par manue

c'est amusant ce sujet de "lieux" speciaux ou soufflerait un vent tout a fait "special". Je me suis aussi souvent posee cette question face aux gens qui ressentent "tellement de choses" dans tels et tels lieux. L'idee meme de lieux speciaux me parait ridicule, tout simplement parce que je ne comprends pas ce que ce "l'esprit", admettant qu'il y en aie un, pour parler de ce genre de systeme, que l'esprit puisse "choisir" des lieux.
Pour moi, c'est une confusion de l'etre par rapport a un certain moment de sa vie. Souvent, les choses ont moins a faire avec des "lieux" qu'avec le moment specifique que chacun traverse. Ces sensations "autres" seraient plus liees a un moment, qu'a un endroit, le "lieux" n'etant que le declencheur de quelque chose qui etait deja a l'interieur de l'etre. A un autre moment de sa vie, l'etre, ne pourrait rien sentir a un meme lieu donne, le moment n'etant pas propice a une nouvelle ouverture interieure.
Personellement, je ne ressent rien de special nulle part, ou sinon, je ressent partout des trucs speciaux, ce qui revient au meme. Le voyage me montre bien que les decors, memes les plus sublimes, ne sont rien en eux memes que vide immense. La facon dont je les analize en revanche semble avoir beaucoup plus de signification.

Je ne sais meme pas qui est M Barres, je peux me considerer chanceuse peut etre;)

6. Le jeudi 8 mars 2012 à 18:44, par aymeric

tu as parfaitement saisi me semble-t-il les côtés par lesquels "cloche" la pensée de Barrès ! a te lire, on croit même percevoir des accents heideggeriens :)
j'aime bien ton idée de "vide immense" associée aux décors sublimes... Un vide immense, serait-ce quelque chose de plus considérable qu'un "vide tout simple" ? Y aurait-il des échelles dans le vide, des degrés dans le néant ? :)

7. Le vendredi 9 mars 2012 à 09:31, par manue

Les mots "vide immense" etait plus poetique qu'autre chose. J'adore la notion de "remplie de vide". Mais la question est interressante. Pour tenter d'y repondre je me suis projetee dans l'Himalaya puis dans une grand supermarche en europe. J'y trouve en effet des vides diferents. Une nature qui s'etand a perte de vue, la ligne bleue de l'horizon de la mer etant une de mes preferee, l'Hymalaya ou autre immensite semble etre un vide qui me remplie, qui me calme, qui me nourrit. Alors que quand je suis perdue dans un supermarche, ne voyant rien qui me tente, sauf ce dont j'ai besoin, je ressent un vide nauseabond, une espece de puanteur de surplus, de gachis. Ce vide la ne me rends pas heureuse, bien au contraire. Il y a comme un vide bruyant et un vide silencieux.

Je suppose que ces nuances de vide aussi ne sont que poetiques. Comment le vide pourrait il donnait des gouts differents? Pourquoi est ce que l'absence d'un etre aime est il ressentie comme diferent du vide que l'on peut ressentir aux cotes du meme etre aime? Peut etre que le vide, comme une couleure peu avoir des nuances aussi?

Le vide est interressant. Le vide comme source de tout...c'est jolie...

8. Le samedi 10 mars 2012 à 10:02, par aymeric

c'est amusant, je suis précisément en train d'explorer un centre commercial, mais d'un genre très particulier: celui reconstitué dans un jeu vidéo (Dead Rising 2), infesté de zombies... Il y a une atmosphère très drôle de petite musique fadasse, se détachant sur un fond d'angoisse profonde... Un "vide nauséabond" ! :)

9. Le mercredi 17 octobre 2012 à 15:34, par chris

Je suis peut-être basique mais je lis beaucoup trop de fautes dans certains commentaires !
Même si Monsieur Barrès est contreversé, il avait été élu à l'Académie Française et il serait opportun de lire au moins un de ses romans pour apprendre à écrire notre belle langue française.

10. Le mercredi 17 octobre 2012 à 20:41, par aymeric

Je considère qu'on a le droit de faire des fautes dans les commentaires sur le web ! :)
apres tout, la spontanéité fait vraiment partie du jeu, à cet endroit-là de notre vie sociale

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