J’ai longtemps admiré les « petits romans d’analyse psychologique à la française », tous ces petits romans dans le genre de Dominique d’Eugène Fromentin ou d’Adolphe de Benjamin Constant, et qui me semblaient dessiner comme une tradition, presque une école. Je prends goût maintenant à un autre genre, assez proche, celui qu’on pourrait nommer les « romans charmants » - non pas les romans de charme, mais bien les romans charmants, ceux qui développent par leurs descriptions précises, par leurs fins portraits, par leur attention à la langue, la peinture d’un certain art de vivre.

Je pense aux livres de Colette. Je pense au merveilleux Petit ami de Léautaud, tendre évocation des femmes du demi-monde, des cocottes et des filles de cabaret dont il faisait ses délices, sans doute pour oublier les terribles chagrins causés par l’abandon de sa mère – les retrouvailles, faussement allègres, donnant matière à un très beau chapitre, dont témoigne ce court passage :

« Je sentais sur moi les regards de ma mère, je m’imaginais les pensées qui devaient l’emplir. Surtout, je goûtais la tristesse de se retrouver ainsi, une mère et un fils, après vingt ans, elle plus très jeune comme âge, et moi un homme. Comme nous cherchions nos mots, l’un et l’autre ! Deux étrangers n’auraient pas fait mieux. C’était donc si difficile que de se dire : maman ! – et : mon fils ? Je l’aurais prise si volontiers dans mes bras, moi ! Et un grand découragement me venait, une immense paresse, devant tant de choses à entendre, tant de choses à dire. « Après tout, j’en ai écrit l’essentiel, me disais-je, en songeant à mon manuscrit laissé à Paris. Qu’est-ce que ça me fait, tout le reste ! J’aime autant ne pas avoir de changements à faire. » »

Je pense également au dernier roman de Maupassant, sans doute le moins connu des quatre en dépit de son titre magnifique : Fort comme la mort, émouvant portrait d’un peintre arrivé au sommet de sa gloire, mais qui sent les années passer et qui tombe amoureux de la fille de sa maîtresse. L’occasion pour Maupassant de peindre, justement, deux milieux qui se côtoient, s’apprécient sans se mêler tout à fait : celui des artistes et celui des mondains. Sa palette est moins riche que celle d’un Balzac ou d’un Zola mais elle est plus légère, plus vive, et ces trois cents pages d’analyses sociologiques et d’évocations sentimentales, sur fond de présence obsédante de la mort, sont délicieuses.

Certes, Maupassant n’arrive pas à rééditer dans ses romans le miracle de ses nouvelles : le rythme s’essouffle au milieu du livre, comme avec Pierre et Jean, ou même Bel-Ami. Mais il y a d’innombrables belles pages sur le vague des sentiments et de nombreux portraits bien sentis, comme celui de cette femme du monde, arrogante et snob :

« Autoritaire, brusque, n’admettant guère d’autre opinion que la sienne, fondant la sienne uniquement sur la conscience de sa situation sociale, considérant, sans bien s’en rendre compte, les artistes et les savants comme des mercenaires intelligents, chargés par Dieu d’amuser les gens du monde ou de leur rendre des services, elle ne donnait d’autre base à ses jugements que le degré d’étonnement et de plaisir irraisonné que lui procurait la vue d’une chose, la lecture d’un livre ou le récit d’une découverte. »