1) Au Vietnam, dans une rue populeuse où se pressent les touristes, je lutte tant bien que mal en terrasse contre une crise aiguë de sudation, sirotant des nouilles encore brûlantes et m’éventant le visage d’un journal plié en quatre. Un Américain que j’observais depuis un bout de temps, à l’autre bout de la terrasse, en compagnie de ce qui me semble être sa famille, une Vietnamienne et trois beaux enfants, croise mon regard et paraît estomaqué. Il fronce les sourcils, sourit, se lève et me rejoint. Me confond-il avec un autre ? Il me tend une main décidée : « Superman ? »

2) En marge d’une journée de conférences pour des étudiants de BTS Communication, deux élèves prennent prétexte de ce que déclare le conférencier sur la tendance française à faire appel à l’intellect plutôt qu’au cœur, pour apostropher quelques professeurs, dont moi-même, sur un ton plutôt dur : « Vous voyez, laissez parler vos sentiments ! Vous n’utilisez que votre cerveau ! » (Je gomme les approximations de langage). La personne à ma gauche se penche vers moi pour me dire, complice : « Ça doit être l’effet des lunettes à la Clark Kent… »

3) Il y a dix ans, déjà : j’entre dans un bistrot, un homme au visage fatigué penche un regard éteint sur une bière qu’il a du mal à finir. Négligemment, il se tourne vers l’entrée, croise mon regard et son visage s’illumine. Il se redresse, écarte les bras et s’exclame : « Bienvenu, Superman ! »

Je ne portais pas de lunettes à l’époque. Les années passant, on m’a moins comparé au super-héros américain. Jusqu’à ce que je me résolve à porter des Ray-Ban parce que ça devenait pénible de ne pas identifier les élèves en fond de classe. Et les remarques m’associant à Superman ont repris de plus belle – elles se sont précisées, cependant : j’étais bien le Clark Kent de la série, c’est-à-dire le Superman en tenue de travail avant qu’il n’endosse son costume rouge et bleu.