La littérature sous caféine


Les trois péchés capitaux de Léautaud

J’ai dévoré le premier volume du fameux Journal littéraire de Léautaud. Encore une fois, je suis frappé par l’hypnose que provoquent les journaux d’écrivains : prose parfois banale, souvent répétitive, et pourtant forte de cet effet de réel qui rattrape beaucoup de faiblesses.

Je pense qu’il y a aussi, de ma part, bien sûr, une fascination pour les auteurs eux-mêmes : de quelle manière ils s’en sortent, comment ils s’accommodent des échecs, comment ils s’organisent pour écrire…

Plaisir, aussi, de voir s’animer quelques autres figures du monde littéraire. Léautaud fréquentait, en ce début de 20ème siècle, Valéry, Mallarmé, Goncourt, Gourmont, Schwob, beaucoup d’autres tombés dans l’oubli, et ces pages ont renouvelé mon intérêt pour eux.

Comme dans tout journal, il y a des obsessions qui se dégagent – et il est presque effrayant de voir combien les vies paraissent se résumer à quelques pensées, quelques soucis, quelques plaisirs renouvelés d’année en année. Dans le cas de Léautaud : son peu d’entrain à vivre, son ennui en société, son plaisir à relire Stendhal, ses promenades dans Paris, quelques amitiés (sans lyrisme), quelques intrigues dans le monde des lettres…

Il y a aussi, émaillées dans les 350 pages de ce premier volume, des remarques d’apparence anodine mais qui rendraient sans doute le texte impubliable aujourd’hui… Des notations dispersées, des aperçus de trois aspects de son œuvre qu’on ne lui pardonnerait plus : la misogynie, l’antisémitisme et la pédophilie. Trois pôles inavouables, trois pôles incandescents d’incorrection radicale et condamnable ! C’est presque drôle de les trouver aussi innocemment présentes dans un texte qui les concentre tous les trois. Un siècle a passé, un siècle où des guerres, des révolutions et des lois ont changé la donne, et rien que pour ça, le texte de Léautaud vaut témoignage.

Sur les femmes, par exemple :

« Il n’y a pas à dire : les femmes ont un cerveau à part, sur lequel rien ne prend. Entêtement et médiocrité, les voilà toutes. Elles vivent dans la minute, mais pas plus, ni avant, ni après. Aucune liaison dans le fonctionnement cérébral. Et avec cela, une logique ! Par moments, je pense à m’en aller, à tout planter là. » (page 177)

Un exemple de page satirique (la satire nous donne les meilleures pages de ce journal, avec les passages de nostalgie…), où Léautaud se moque de Mirbeau :

« Pour ce qui est de l’objet précis de ma visite, l’impression que je rapporte n’est pas bonne. J’ai trouvé tout le contraire de Descaves, c’est-à-dire un homme qui fait des phrases, qui parle, mais qui ne vous écoute pas. A part cela, de quoi m’amuser n’a pas manqué. J’ai commencé par remercier Mirbeau de sa bienveillance pour moi, d’avoir ainsi parlé de moi, à plusieurs reprises, sans me connaître. « Mais non, non. C’est moi qui dois vous remercier des heures délicieuses que vous m’avez fait passer. » Première fadeur, flatterie, politesse presque bête, étant donné qu’en face de Mirbeau je suis un tout jeune écrivain. Ensuite : « Ah ! s’il n’y avait que moi, si cela ne dépendait que de moi, il y a longtemps que vous l’auriez eu, le Prix Goncourt. Mais voyez-vous, il y a Descaves… C’est lui qui fait tout, qui décide de tout, c’est inimaginable !... » Etant donné la peine que Descaves a prise de se déranger deux fois pour moi, sans me connaître, et à un an d’intervalle, cette façon chez Mirbeau de me le montrer opposant est plutôt drôle. » (page 355)

COMMENTAIRES

1. Le vendredi 18 mars 2011 à 05:12, par manue

j'ai toujours aimee lire les journaux des gens. les biographies etant une de mes lectures preferees. c'est comme cela que j'ai decouvert des milieux artistiques. lisant une bio, et decouvrant les gens autour de l'auteur.

c'est amusant ce passage que tu cite du livre. ces generalizations qui ne pointent vers rien. on peux lire ce passage en pensant que cela parle des hommes. combien de fois aie je entendu des femmes disant que les hommes ne pensent pas plus loin que leurs chaussettes. alors que la femme doit prevoir pour la famille pendant que l'homme s'amuse.

les generalizations sont si faciles, parfois meme amusantes, mais vraiment si vagues...puisque chaque etre est vraiment une entite a part...

2. Le vendredi 18 mars 2011 à 11:16, par aymeric

je suis d'accord avec toi, ce genre de généralisation est à la fois ridicule et assez drôle... C'est presque touchant, des mouvements d'humeur un peu naïfs...

3. Le vendredi 18 mars 2011 à 19:07, par mathieu

pour ces trois péchés, antisémitisme, misogynie et pédophilie, jouhandeau me paraît un bon candidat

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