Cela fait plusieurs fois maintenant que je lis un livre avec la vague conscience d’y avoir précédemment jeté un œil, avant de me rendre compte l’avoir effectivement déjà lu. Ce n’est même pas que les souvenirs me reviennent : je constate simplement que le livre a été annoté par moi-même, une dizaine d’années plus tôt… Effrayant à quel point certaines lectures s’effacent de votre esprit ! S’agit-il d’un pur oubli ? Je pense que le manque de maturité, lors d’une première lecture, joue aussi… On oublierait plus facilement des textes qui ne nous ont pas marqués parce qu’on n’était pas prêt à les recevoir.

Le phénomène m’est récemment arrivé avec les Mémoires d’une jeune fille rangée, de Simone de Beauvoir, et survient aujourd’hui avec L’Ennui, d’Alberto Moravia. Phénomène d’autant plus marquant que ce livre est une véritable révélation pour moi (je vais y revenir), au point de me donner l’impression de m’identifier de manière très intime avec le narrateur (et l’auteur, dont je sens bien qu’il a des obsessions très proches de son personnage). Il y a quelque chose d’étourdissant de se dire qu’à talent égal on aurait peut-être écrit à peu près la même chose, dans des circonstances comparables.

J’avais eu la même sensation avec certains livres de Schnitzler, il y a deux ou trois ans. Petit à petit se dessine ainsi comme une constellation de doubles littéraires à travers l’espace et le temps…

Troublant aussi de se dire, à propos de L’Ennui, que c’est précisément un livre dont je me sens si proche aujourd'hui... Et c'est lui que j’oubliais ! Y a-t-il des choses que l’esprit fuit parce qu’il y sent une piste trop brûlante, trop éclairante pour lui-même ?

(Corollaire de cette fâcheuse tendance à l’oubli : je prends des notes, maintenant, à propos des livres que j’aime, pour revenir plus facilement à l’avenir aux pages qui me touchent).