La littérature sous caféine


Chateaubriand, rédacteur en chef des Guides Vert



J’entame ma lecture, que j’espère complète un jour, des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand (je n’en avais lu que des bribes). Quelques petites remarques :

Je suis étonné par l’usage que Chateaubriand fait des virgules. Par exemple, il en place une systématiquement entre le sujet, lorsqu’il est relativement long, et le verbe qui suit. "Les embrasures des fenêtres étroites et tréflées, étaient si profondes, qu'elles formaient des cabinets autour desquels régnait un ban de granit. " Usage rythmique de la virgule, et je me demande si ces quelques « tics de virgule » étaient propres à François-René ou s’ils étaient courants à l’époque – je n’ai pas le souvenir que cela m’ait marqué chez d’autres.

Le seul défaut qui me gêne un peu, dans le premier livre de ces Mémoires, est une certaine complaisance, une certaine grandiloquence, même, dans l’expression du malheur. C’était un trait propre aux romantiques, bien sûr, mais je le trouve vraiment daté ici (bien que cela donne des choses très belles). Peut-être parce qu’on attend aujourd’hui, dans un écrit autobiographique, plus de simplicité que dans un poème. Rien que dans l’avant-propos : « Si j’ai assez souffert en ce monde pour être dans l’autre une ombre heureuse, un rayon échappé des Champs-Elysées répandra sur mes derniers tableaux une lumière protectrice : la vie me sied mal ; la mort m’ira peut-être mieux. »

- Cela n’ôte rien à la grande majesté de l’ensemble, et je trouve l’auteur particulièrement saisissant lorsqu’il brosse en quelques dizaines de lignes les destinées de familles entières. J’ai notamment été frappé par le fait que sa propre famille, une lignée d’aristocrates prestigieux, se soit laissée ruiner en deux ou trois générations par simples négligences, ou bien par idéalisme, bien avant que ne les frappe de plein fouet la Révolution. J’aime aussi beaucoup ses scènes de genre, ses peintures de vies quotidiennes, ses croquis de petites communautés…

- Saisissantes sont également ses descriptions de la nature bretonne… Précises, inspirées… Je trouve assez drôle que ce genre de paragraphe puisse passer aujourd’hui pour très moderne (dans le sens où l’on pourrait leur trouver un côté très écologiste) alors que les obsessions romantiques ont souvent été considérées comme passéistes. On dirait de véritables extraits d’un Guide Vert sur la Bretagne !
« Le printemps en Bretagne est beaucoup plus beau qu’aux environs de Paris : il commence trois semaines plus tôt. La terre se couvre d’une multitude de primevères, de hyacinthes de champs et de fleurs sauvages. Le pays entrecoupé de haies plantées d’arbres offre l’aspect d’une continuelle forêt et rappelle singulièrement l’Angleterre. Des vallons profonds où coulent de petites rivières non navigables, présentent des perspectives riantes et solitaires : les bruyères, les roches, les sables qui séparent ces vallons entre eux en font mieux sentir la fraîcheur et l’agrément. »

COMMENTAIRES

1. Le lundi 15 novembre 2010 à 10:21, par hélène

Ce livre a changé ma vie. Il y a tout (comme Proust), l'humour (souvent involontaire et à ses dépends), l'aventure, la causticité (les portraits historiques).

J'ai visité Rome dans ses pas (l'émotion de la tombe de madame de Beaumont à saint Louis des français).


On peut dire ce qu'on veut du personnage, cabotin, egocentrique, etc..."Les mémoires..." restent pour moi une source inépuisable de plaisir et de références...

A certains moments critiques de ma vie, les mémoires ont été un réconfort et une source pour me redresser.

2. Le lundi 15 novembre 2010 à 11:19, par Philippe M.

(Aucun rapport avec ce billet mais as-tu vu le film "Des filles en noir" dont le thème se veut très approchant du sujet de ton dernier roman ?... )

3. Le lundi 15 novembre 2010 à 19:18, par aymeric

helène, c'est touchant, ce que tu dis de chateaubriand! J'ai l'impression qu'il est peu lu, aujourd'hui (a moins que d'ormesson, grand fan de chateaubriand devant l'éternel, arrive à susciter l'intéret ?)
J'ai toujours été très touché par les textes extraits des anthologies, mais c'est vrai qu'en m'attaquant à l'oeuvre complete je commence à etre pris par le souffle du livre... Je pense qu'on peut le lire comme une véritable saga ! (et puis l'intéret sociologique, et historique, est évident ! Mieux qu'un livre d'histoire !)

4. Le lundi 15 novembre 2010 à 19:21, par aymeric

Philippe, oui j'ai repéré ce film ! Je suis content de voir que ce genre de thème est dans l'air du temps, même si ca me rend moins facilement compréhensible le silence absolu de la presse sur mon livre ! :-)

5. Le lundi 13 décembre 2010 à 21:41, par nauher

C'est k'œuvre la plus lucide sur le bouleversement qui s'opère dans la première partie du XIXe. Il n'est effectivement pas passéiste (c'est d'ailleurs ce que lui reprocheront nombre d'écrivains ultérieurement, Maurras entre autres). Chateaubriand accepte les effets de la Révolution (dont il sait qu'il lui doit de ne pas être resté petit hobereau provincial), bien qu'en la fustigeant, et il en voit en même temps les forces décliner. Il est dans l'entre-deux. Il n'est pas indifférent qu'il soit né à Saint-Malo, dans une cité (pour l'intra-muros) entre la terre et la mer. Il n'est pas comme les romantiques échevelées, enfoncés ou dans la geignardise perpétuelle, ou dans l'opportunisme politique (de ce point de vue, il est bien plus intéressant que Hugo). Il veut faire de ses mémoires un "monument" littéraire. Il est dans le retrait sans être contemplatif. Et lorsqu'il s'agit de régler ses comptes avec ceux de son camp, les ultras étriqués, les royalistes aigris, il est inégalable. Cette force-là : la sévérité envers ce qui vous serait le plus proche, sans utiliser l'invective ou l'exces, elle est rare.

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