Philip Roth ou la narration virile
Par admin, samedi 6 novembre 2010 à 10:35 :: Littérature étrangère :: #521 :: rss
La grande librairie - Philip Roth
envoyé par Jeremy_Kaplan. - Regardez plus de courts métrages.
Je commence à avoir bien avancé dans ma lecture de l'oeuvre de Roth, et le roman que je viens de lire est mon préféré : La Contrevie (Gallimard 2004 pour la traduction française), second volume du cycle "Nathan Zuckermann" (du nom de l'alter ego de Roth), qui se prolongera par trois titres considérés comme ses chefs-d'oeuvre, Pastorale Américaine, La Tache, J'ai épousé un communiste, et auxquels je préfère, moi, cette étourdissante Contrevie.
On y voit notamment Nathan Zuckermann dresser le portrait de son frère, Henry, dentiste dont la vie rangée bascule le jour où il décide de se faire opérer pour retrouver toute sa puissance sexuelle, et qui part dans un second temps en Israël pour essayer de renouer avec une existence plus "authentique", mais l'égie d'un véritable "Fou de Dieu". Nathan lui-même voudra changer le cours de sa vie en épousant une jeune Anglaise, issue d'une famille à l'antisémitisme plus redoutable que ce qu'il craignait...
C'est un des romans "amples" de Roth (550 pages en Folio) et pourtant parfaitement tenu, jonglant avec les points de vue, ne cédant jamais à la tentation de l'humour délirant qui plombe certaines de ses oeuvres (à l'exception d'un épisode, inutilement grotesque à mes yeux, d'un attentat raté dans un avion), ni de ces tableaux ultra-réalistes qui alourdiront par exemple Pastorale Américaine (j'ai le souvenir de pages très détaillées sur l'industrie du cuir, morceaux de bravoure à la Balzac que je trouvais datées...).
La force de Roth, c'est cette étonnante fécondité narrative qui lui fait développer sur des dizaines de pages constamment tendues, constamment portées par le drame, des scènes de la vie quotidienne, et entremêler les faits et les argumentations de manière à suggérer que nos vies sont constamment travaillées par les malentendus, la mauvaise foi, les pulsions, les complexes, les peurs inavouées... Tragédie perpétuelle, humour sarcastique, lyrisme sexuel, les cordes des Roth sont innombrables et chaque fois il me donne la sensation, décidément, d'être le plus grand écrivain vivant (ce qu'il serait cependant ridicule d'affirmer).
Parmi les très nombreuses pages éclatantes, cet aveu de la part de Maria, qui cherche à persuader Nathan qu'il se trompe en voulant l'épouser (on notera au passage la pique dirigée contre Sollers, dont je ne sais pas si Roth lui-même la reprendrait à son compte...):
"Intellectuellement, je ne suis pas ton genre, et je ne suis guère bohème. Oh, je l'ai essayée, la Rive gauche ; à l'université, je fréquentais des gens qui se promenaient avec Tel Quel sous le bras. Je les connais, ces sornettes, ça vous tombe des mains ; entre la Rive gauche et les vertes pelouses, je choisissais les vertes pelouses ; je me disais : "Est-ce que je suis vraiment obligée d'écouter ces âneries à la française ?" et je finissais toujours par filer. Sexuellement aussi, je suis plutôt timorée, tu le sais - je ne suis que le produit archi-prévisible d'une éducation Vieille Angleterre dans la petite noblesse sans terres. Je n'ai jamais rien fait de lascif dans ma vie. Quant à avoir des appétis inavouables, je ne crois pas en avoir eu un seul. Je n'ai pas un talent fou. Si j'avais la cruauté d'attendre le jour du mariage pour te montrer ce que j'ai publié, tu regretterais de m'avoir fait ta demande. Je suis une tâcheronne ; j'ai le cliché volubile, je tisse une mousseline de prose éphémère à l'usage de magazines idiots. Les nouvelles que je tente de composer sont sur des sujets absurdes ; je voudrais parler de mon enfance - follement original ! -, de la brume, des prés, des aristocrates décatis avec lesquels j'ai grandi." (page 262)
COMMENTAIRES
1. Le mardi 9 novembre 2010 à 22:35, par Louve
2. Le mercredi 10 novembre 2010 à 23:12, par aymeric
3. Le vendredi 24 mai 2013 à 14:02, par cheap jordans
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