Une page m’a particulièrement frappé dans le livre Explications, de Pierre Guyotat :

« Le texte que j’ai fait pour le spectacle chorégraphique de 1997, (…), je l’ai vraiment écrit, je l’ai prononcé certains soirs avec une très grande violence, dans un mouvement de révolte contre la sexualité, quelle qu’elle soit, contre la fatalité sexuelle. Cette obligation à la sexualité qu’il y a en l’homme, c’est une des tâches les plus terribles de l’homme, à mon avis, contrairement à tout ce qu’on dit, bien entendu. C’est une hantise, une obsession. (…) Dans Progénitures, le peuple apparaît comme soumis à cette obligation-là. On y voit des figures contraintes, obligées de forniquer comme on bêche, dans ces bordels-là ; après, on entre et on refornique dans le foyer. C’est sans cesse qu’on travaille… il y faut beaucoup de semence, vaine dans le ou la putain, utile dans l’épouse. » (page 42)

Je n’avais jamais vraiment réfléchi à cette vision possible de la sexualité comme labeur, comme malédiction – sauf bien sûr dans le cas du viol ou de la prostitution. Cela m’a laissé d’autant plus songeur que je venais de terminer ma lecture du livre imposant de Coralie Trinh Thi (l’actrice porno française qui a participé à l’adaptation cinématographique de Baise-Moi, de Virginie Despentes), La Voie Humide, vaste autobiographie (l’auteur est pourtant jeune) dans laquelle elle raconte sa carrière dans le X, ses amours, ses douleurs… Je ne m’attendais pas à ce niveau d’exigence littéraire. Plus de sept cents pages assez denses, parfaitement fluides, jamais naïves, ne donnant jamais dans le pathétique ou le sordide – et pour cause, Coralie Trinh Thi défend l’idée d’une sexualité épanouie possible dans la pornographie, et sa compatibilité avec une vie personnelle riche, excessive, sincère, ainsi qu’avec une réelle ambition artistique dont ce livre est le témoignage (l’auteur a-t-elle eu recours à un nègre ? Je ne pense pas, vue l’ampleur du projet…)

La qualité du livre tient à la succession, comme on s’y attend, de scènes savoureuses sur le milieu de la pornographie, mais aussi de longues et belles pages sur la profondeur de la sensualité, la recherche du bonheur, l’attachement amoureux… Ce livre n’a pas à rougir, je trouve, de la comparaison avec l’œuvre d’une des grandes prêtresses des journaux érotiques, Anaïs Nin, que j’évoquerai bientôt.

Extrait (à propos du tournage de Baise Moi) :

« La pression morale devenait insoutenable. La réprobation muette de tous les membres de l’équipe, avant chaque scène hard, augmentait en même temps que leur attachement à Karen et Raf. Elles leur avaient dit qu’elles étaient sorties de l’enfer du porno, qu’elles ne voulaient plus en faire, sauf pour Baise-moi… Mon malaise se précisait. Elles ne nous avaient jamais dit explicitement que le hard leur coûtait tant, qu’elles détestaient le faire, qu’elles trouvaient cela mal, et pourtant… Elles faisaient le film en dépit du hard, un sacrifice, un dommage collatéral, alors que c’était un de ses centres. Nous n’avions jamais envisagé de corrompre l’innocence, de manipuler ou de faire pression, d’arracher quoi que ce soit, comme certains réalisateurs s’en croient le droit. Ce film était possible avec elles, ces filles parfaites qui étaient aussi hardeuses. Mais travailler avec des professionnelles aguerries ne suffisait pas à garantir un rapport sain à la sexualité. On ne pouvait échapper à la culpabilité. » (page 512)

N.b. : je pars deux semaines en Australie… Reprise du blog mi-août !