Rentrée littéraire 2008 (3)

Très efficace, le pitch d'un secret de famille faisant peser sur des générations entières le poids des non-dits et des névroses, jusqu'à ce qu'un membre plus névrosé encore que les autres, ou plus souffrant, ou plus fou, ou plus courageux, se décide à crever l'abcès...

J'ai parfois l'impression que ce schéma narratif est utilisé par 50 % des romans, mais il faut reconnaître qu'il peut donner lieu à de beaux effets. Je me souviens du mot célèbre de Malraux sur Faulkner : Faulkner, disait-il eu substance, c'est l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier... Nous pourrions reprendre ce schéma pour décrire certains romans familiaux comme l'intrusion du roman policier dans le roman d'analyse psychologique - Simenon fusionnant avec Benjamin Constant, en somme.

Un bon exemple pourrait être donné par Un secret, le court et beau livre de Philippe Grimbert récemment adapté au cinéma : écriture simple et précise, mais dense, pour cette histoire qui plonge dans une page noire de l'histoire française, et flirte souvent avec la psychanalyse pour expliquer le surprenant mensonge du narrateur, qui s'invente un frère sans trop comprendre encore les ressorts de son comportement...

"Régulièrement on m'interreogeait sur les origines du nom Grimbert, on s'inquiétait de son orthographe exacte, exhumant le "n" qu'un "m" était venu remplacer, débusquant le "g" qu'un "t" devait faire oublier, propos que je rapportais à la maison, écartés d'un geste par mon père. (...) Un "m" pour un "n", un "t" pour un "g", deux infimes modifications. Mais "aime" avait recouvert "haine", dépossédé du "j'ai" j'obéissais désormais à l'impératif du "tais"" (Extrait de Un Secret, Livre de poche, p17)

Autre surgissement du passé sous une forme plus ou moins cauchemardesque, plus ou moins mystérieure, avec le troisième roman de Caroline Sers aux éditions Buchet-Chastel : Les petits sacrifices (Août 2008), prose plus ample que le précédent, très élégante, un poil classique, avec un joli sens du développement romanesque et de la phrase bien tournée. On remonte ici jusqu'à la Première Guerre Mondiale, pour l'histoire de cette famille, les Dutilleul, dont une réception fut troublée par une mort violente qu'on mettra des décennies à élucider. Le meilleur roman de l'auteur, sans aucun doute, qui se fait un malin plaisir à installer de paisibles atmosphères familiales pour les dynamiter en quelques lignes.

"Dans la cuisine, depuis plusieurs jours, le ballet ne s'interrompait que quelques heures pour laisser les protagonistes prendre du repos avant de replonger dans l'effervescence de la préparation de la grande fête. Comme tous les ans, il s'agissait de se surpasser, autant dans le choix du menu que dans sa réalisation et dans la profusion qui devait laisser les invités repus et béats Marie supervisait chaque opération avec vigilance, veillant à ce qu'aucun détail ne soit laissé au hasard." (Extrait de Les Petits Sacrifices, p 25)

Dernier exemple pour aujourd'hui de ce genre littéraire (s'il est possible de parler de genre), le roman de Stéphanie Janicot, Cet effrayant besoin de famille (Albin Michel, 2006), très efficace succession de courts chapitres pour décrire les destins des membres d'une fratrie marquée par les malendendus, les mesquineries, les désespoirs, les incompréhensions. Une nouvelle fois toute la logique d'histoire n'apparaîtra qu'à la fin, par petites touches progressives, et il est très plaisant de suivre dans trois pays différents, à plusieurs époques, les à-coups dans les destinées de ces personnages attachants.

"Vincent avança que la loi française ne reconnaissait pas aux enfants adultérins les mêmes droits qu'aux enfants légitimes, que ceux-ni ne pouvaient prétendre qu'à la moitié de ce que recevaient les autres. Mais le notaire écarta cet argument en s'appuyant sur l'existence du testament. Pablo avait été explicite : ses biens devaient être répartis équitablement entre ses quatre enfants." (p88)