Rentrée littéraire 2007 (5)

1) Dans le court et joli Hoffmann à Tokyo, de Didier Da Silva (Naïve, août 2007), le canevas romanesque est réduit au minimum pour laisser place à de brefs aperçus sur la ville. L’écriture précieuse y consiste en une alternance de tournures grammaticales vieillies et d’autres plus familières. Les descriptions de Tokyo privilégient tour à tour une approche pointilliste, par petites touches précises, et une approche impressionniste, par sensations vagues.

Jugez plutôt :

« L’avait frappé, en y mettant le pied, que tout semblait converger là. La circularité des lieux n’est pas seule en cause, le grand carrefour de Shibuya – le square n’en occupe qu’une dixième partie, d’ailleurs excentrée – ne propose rien de moins, dirait-on, que d’occulter le reste du monde. Il paraît peu probable, par exemple, qu’au-delà de cette arène de hauts immeubles high-tech se maintienne la vaste blague qu’on connaît sous le nom d’Europe. Il n’y croit plus. » (p16)

2) Dans Fin de l’histoire (Verticales, août 2007), la préciosité de François Bégaudeau consiste dans la même alternance de deux registres, mais il pousse le bouchon beaucoup plus loin : à la fois dans le jargonnant, pour s’en moquer, et dans le style oral, pour s’en moquer aussi. Le propos du livre n’est pas inintéressant – montrer, entre autres, ce qu’a de révolutionnaire la manière dont Florence Aubenas a pris la parole lors de la conférence de presse à son retour de captivité -, et le style foisonnant de Bégaudeau cherche à renforcer l’argumentation en la rendant plus vivante, et plus sarcastique.

Le problème est que la démonstration, je trouve, y perd en clarté. Bégaudeau s’exprime très bien lors des interviews, on en vient à regretter qu’il ne mette pas son intelligence et son talent discursif au service du texte lui-même.

Exemple :

« On sent les assistants se réjouir d’avance qu’elle mette ses infos dans la cagnotte commune, normal elle est des nôtres, solidaire c’est la moindre des choses. Il va y avoir des : révélations. Et aussi des : révélations. Mais surtout des : révélations. Elle a raison, trépignent-ils, ce récit nous concerne tous, c’est patrimoine public, c’est une affaire d’Etat, une affaire de Nous, donne à chacun une part du gros gâteau d’Histoire que tu as eu pour ton Noël, donne un échantillon de Météorite qui t’est tombée dessus dans le désert, donne-nous des nouvelles du front, des nouvelles qui crachent le feu la fureur le bruit. » (p17)

Tout au long du livre, j’aurai du mal à saisir ce que Bégaudeau reproche exactement à l’Histoire… Finalement j’aurais préféré un essai, en bonne et due forme !

Ici, Bégaudeau justifie son style :



Là, Finkielkraut tempère l’enthousiasme provoqué par le retour de Florence Aubenas :



3) Troisième préciosité, celle de Lionel-Edouard Martin, dans son roman L’Homme hermétique (Arléa, août 2007) – un auteur que j’ai découvert grâce au premier numéro de la revue L’Arsenal : poète brillant et majestueux dans ses textes en prose, il perd un peu de sa grâce avec le roman, car il applique un vocabulaire assez daté à des sujets qui mériteraient sans doute moins d’élégance.

Par exemple, avec cette description d’un garçon qui écoute du rap :

« Du garçon, on ne voit pas grand-chose – on le présume jeune et garçon du fait de sa vêture et de ses formes : il marche à grands pas sur le trottoir, opacifié par un survêtement dont la capuche lui dissimule le visage, dont les poches lui dévorent les poings. »