La littérature sous caféine


Ce soir, l'hécatombe



Si je fais le bilan de ma saison théâtrale 2006-2007, du point de vue du nombre de morts, cela donne :

- Hedda Gabler, d’Ibsen : un suicide + un suicide déguisé en rixe
- Trois sœurs, de Tchekhov : un suicide déguisé en duel
- Platonov, de Tchekhov : quelques morts, dont un suicide (si mes souvenirs sont bons)
- Naître, d’Edward Bond : plusieurs morts par balle + une scène de charnier + le massacre du corps d’un enfant
- Psychose, de Sarah Kane : un suicide

Il n’y a que la pièce de Thomas Bernhard, Au But, qui n’ait pas mis en scène de mort violente, encore que l’épouse parle longuement de l’agonie de son mari et qu’il s’agisse beaucoup de désespoir et de dégoût.

Comment justifier une telle hécatombe ? Sans doute la bonne vieille catharsis d’Aristote (il faudrait d’ailleurs faire des sondages, tiens, pour savoir si les spectateurs se sentent purgés à la sortie d’une pièce…), sans doute aussi le fait qu’on présente sur scène des raccourcis de nos destins et qu’il est donc inévitable d’aborder la question de la mort… Mais que la mort prenne si souvent sur scène la forme du suicide ? Peut-être une question de maîtrise de soi, donc aussi de sa fin...


COMMENTAIRES

1. Le samedi 16 juin 2007 à 13:39, par lila

C’est vrai que la programmation du Théâtre de la Colline (parce que de celle-ci dont tu parles, il me semble) est assez trash tant sur le choix des œuvres que sur les partis pris scénographiques. On retrouve d’ailleurs un peu cette atmosphère dans certaines pièces du Théâtre de la Bastille, je pense notamment aux mises en scène de Jean-Michel Rabeux.

Quant à la catharsis, j’ai eu l’occasion de comprendre que cela fonctionnait à 100 % sur moi et que c'était même très salvateur.
Il y un an et demi, étant une fanatique de Racine, je suis allée voir « Bérénice » au Théâtre de l’Ouest Parisien. Il s’avère qu’à cette période là, je devais trainer de vieilles histoires sentimentales sans en avoir réellement conscience. La mise en scène et le jeu des acteurs étaient très épurés et très justes, ce qui mettait merveilleusement le texte en relief. Dès le premier acte, j’ai commencé à être troublée et arrivée au troisième, je me suis mise à sangloter à gros bouillons (presque au point de devoir quitter la salle), sous les regards ébahis et septiques des autres spectateurs et de l’ami qui m’accompagnait. J’étais parfaitement ridicule mais impossible de faire autrement. Je suis sortie de là sans dessus dessous mais quelques heures plus tard, je me suis rendue compte qu’à travers la souffrance de la Reine de Palestine, j’avais enfin consumé la mienne. Je me suis sentie beaucoup plus légère par la suite …

2. Le samedi 16 juin 2007 à 15:58, par mister pat

Tu nous décris tres bien les effets tres concrets de la catharsis...
tu m'as l'air tres au fait de l'actualité théatrale !
Pour ma part les fois où j'ai le plus ressenti les effets de la catharsis, c'était en sortant de la projection de certains polars, de plus ou moins bonne qualité, toujours selon le meme schéma : sortie hagarde, qq pas dans la rue avant de m'isoler, puis les sanglots... (par exemple à la sortie de Hana-Bi, de Kitano). A ce moment là on comprend, effectivement, que des choses sortent de soi...

(les effets de la catharsis sont aussi tres nets en moi quand j'écoute du rap...)

3. Le dimanche 17 juin 2007 à 02:17, par lila

Pour les femmes, la catharsis fonctionnerait donc quand elles se trouvent confrontées à des scènes d'amour éperdu et bafoué ou de maternité, et pour les hommes, il s’agirait donc d’autre chose : la confrontation avec des représentations ultra violentes cinématographiques, musicales ou encore théâtrales qui cristalliseraient l’intégralité de leurs angoisses ? Intéressante différence entre le masculin et le féminin, non ???

4. Le dimanche 17 juin 2007 à 06:30, par Carina

Ca c'est une généralisation! Un homme=tous les hommes, une femme=toutes les femmes !
Théâtralement, j’ai vu et revu, « Antigone » (version Anouilh). Fin grandiose.
Cathartiquement, je n’ai jamais rien trouvé de mieux que d’écrire, sans que ce que je raconte ne me semble systématiquement « sorti de mes tripes » pour autant. Il arrive que je ne dorme pas de la nuit ou que je me mette à pleurer sans raison apparente en écrivant. Et qu’une fois l’écriture terminée je ressente une forme de soulagement.
Quoiqu’il en soit le résultat sur papier n’est jamais très concluant, doux euphémisme. J'admire beaucoup les gens capables de faire qqch de consistant de leurs écrits: J'ai beau retravailler encore et encore les miens, je les trouve toujours imbuvables...

5. Le lundi 18 juin 2007 à 00:51, par Carina

S'absenter après un post sur les suicides, indirectement mais...
C'est effrayant tout de même!
Fais acte de présence:)

6. Le lundi 18 juin 2007 à 13:51, par mister pat

t'inquiète, je ne vais pas commettre l'irréparable !!
la catharsis par l'écriture, en fait ca ne fonctionne pas chez moi... je veux dire, je n'ai jamais pleuré sur ma feuille de papier... le processus romanesque est bcp trop intellectuellisé chez moi pour qu'il débouche sur une crise de larmes... c'est sans doute la distance romanesque ? je ne me suis jamais lancé dans l'autobio pure et simple... Il n'y a guère que la musique ou cinéma qui me fassent pleurer... Au theatre, ca ne m'est jamais arrivé...

7. Le lundi 18 juin 2007 à 17:31, par Carina

Mais moi non plus ce n'est pas autobio, du tout, ou alors mon inconscient transforme à mon insu...
En tout cas voilà la réponse à "Pourquoi c'est nul ce que j'écris?" La distance romanesque: il doit grandement m'en manquer!

8. Le lundi 18 juin 2007 à 17:36, par mister pat

Et puis, si l'on veut poursuivre dans le registre lacrymal, depuis l'adolescence un roman ne m'a jamais fait verser de larmes... Mon dernier souvenir en la matière doit remonter à l'age de 12 ans...
La distance romanesque : le plus dur est de la trouver, effectivement, mais d'y injecter aussi du ressenti personnel, bcp de ressenti personnel !!

9. Le mercredi 20 juin 2007 à 07:48, par franck-olivier L

Salut Aymeric, ça me fait penser à une anecdote lue dans le Cocteau de la collection Quarto...un jeune soldat tirant une balle sur un comédien lors d'une représentation de Shakespeare en s'écriant(ou à peu près) : "moi vivant personne ne fera de mal à cette femme!!"...l'intellectualisation permet sans doute la distance...mais elle marque la nécessité de garder la maîtrise...la crainte de ce qui pourrait se révéler sans elle ?

Bon, je ne vais pas t'indiquer la pièce que nous créons alors, parce que ton quota de morts risque d'exploser!! hé hé

@+

10. Le mercredi 20 juin 2007 à 21:29, par vince

elle se jouera où ?

11. Le jeudi 21 juin 2007 à 07:01, par franck-olivier L

Vince: Nous la créons à Avignon pour le festival du 6 au 29 juillet...ensuite elle tournera un peu partout. Paris en Janvier je l'espère :)

tiens, je te mets le lien vers le documentaire réalisé autour de la création : www.aimer-resister.com/in...

@+

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