Dernier cours à Sciences-Po. Pour finir en beauté j’ai chargé mon sac de quelques-uns des plus gros pavés de la littérature anglo-saxonne, comme l’Ulysse de Joyce que j’ai présenté comme le summum de l’illisible chic, et dont nous avons lu ce type de paragraphe, savamment obscur, délicieusement impénétrable :

« Inéluctacle modalité du visible : tout au moins cela, sinon plus, qui est pensé à travers mes yeux. Signatures de tout ce que je suis appelé à lire ici, frais et varech qu’apporte la vague, la marée qui monte, ce soulier rouilleux. Vert-pituite, bleu-argent, rouille : signes colorés. Limites du diaphane. Mais il ajoute : dans le corps. Donc il les connaissait corps avant de les connaître colorés. Comment ? En cognant sa caboche contre, parbleu. Doucement il était chauve et millionnaire, maestro di color che sanno. Limite du diaphane dans. Pourquoi dans ? Diaphane, adiaphane. Si on peut passer ses cinq doigts à travers, c’est une grille, sinon, une porte. Fermons les yeux pour voir. »

Une élève s’indignant : « A quoi sert d’écrire des livres qui ne seront pas lus ? », j’ai répondu qu’Ulysse n’était encore rien par rapport à Finnegans Wake, du même Joyce, et qu’il était même certainement plus apprécié que le pavé suivant de notre cours, le sublimement illisible Arc-en-ciel de la Gravité de Thomas Pynchon (dont j’avais d’ailleurs dévoré, pour le coup, le brillant V.). D'autres pavés circulaient dans les mains des étudiants, comme la magnifique Famille Royale de William Vollmann (et j’écris magnifique en pensant surtout à la couverture...).

J’ai conclu le cours en distribuant des copies, bien embarrassé de les avoir si peu annotées, n’ayant guère inscrit le plus souvent que « Très bon travail, 17/20 », déstabilisé par le niveau général des copies…

De même j’aurai eu globalement beaucoup plus de mal à retenir les prénoms des étudiants de Sciences-Po, car je n'aurai eu que très rarement besoin de les reprendre pour leurs bavardages...