La littérature sous caféine


Pourquoi le petit Blanc penche du côté des adeptes de la pensée magique... (Stanislas Kraland, Huffington Post)



Stanislas Kraland ouvre le bal pour "Les Petits Blancs" (17 octobre) dans le Huffington Post:

"Et si l'un des antidotes au racisme était justement de parler de la couleur de peau? Alors que l'élection partielle de Brignoles s'impose comme un nouveau symbole de la montée du FN, c'est l'hypothèse sous-jacente d'un ouvrage au titre provocateur, Les Petits Blancs (éd. Plein jour).

Attention, sujet tabou: "C'est avec pudeur qu'on utilise, en France, l'expression petit blanc," débute cet ouvrage entre enquête journalistique et essai, "si l'on devine ce qu'elle recouvre, on n'aime pas la définir." Dont acte.

On l'aura compris, tout est dans ce titre qui ne s'attache qu'à nommer, bêtement, simplement, ces petits Blancs dont le livre dresse les portraits, raconte les parcours et les discours. Mais qui sont-ils?

Pour le savoir, Aymeric Patricot, 38 ans, agrégé de lettres, diplômé d'HEC et de l'EHESS, est parti à leur rencontre, et à cette question, il apporte une réponse simple: "Un petit Blanc est avant tout quelqu'un qui se perçoit comme tel ou que l'on désigne ainsi."

Blancs et pauvres

Les petits Blancs, ce sont donc autant de visages que de situations. Ce qui les rassemble? Le fait d'être désignés ou de se ressentir en tant que blanc et pauvre, que ce soit dans leur regard ou dans celui des autres.

Le petit Blanc, c'est par exemple ce jeune blanc qui en traite un autre, plus aisé, de "sale blanc" rejetant ainsi sur lui le mépris qu'il ressent. C'est aussi cet adolescent de banlieue, ce "visage pâle" qui, "vivant d'expédients, fragilisé socialement, se découvre aussi pauvre que ces minorités qu'on dit occuper le bas de l'échelle. C'est encore cet ouvrier au chômage qui évoque autant sa "fêlure" que les "délires racistes" de sa tante.

Les petits blancs, ce sont également ce paysan pauvre moqué dans Striptease, cette enseignante vacataire qui a basculé dans la haine, mais aussi cet étudiant fatigué noyé dans sa rancoeur qui dit travailler "beaucoup pour pas grand chose" et qui a "le coeur serré quand il voit "tous ces gens que le système aide alors qu'ils lui crachent dessus."

Autant de mots parfois violents, cruels et lourds, que l'auteur a choisi de regarder en face.

Une réalité

Un propos politique? Aymeric Patricot refuse toute récupération et préfère parler de réalité. "S'il existe une spécificité de l'expérience de populations récemment immigrées, victimes de discriminations, de difficultés économiques et culturelles, alors il existe, mécaniquement, une spécificité de l'expérience de populations paupérisées et non récemment émigrées."

On ne naît pas blanc, on le devient, pourrait-on dire. L'auteur raconte en avoir d'ailleurs fait l'expérience, Aymeric Patricot s'étant lui-même "découvert blanc", lorsqu'il est devenu professeur de lettres en banlieue parisienne.

"On ne peut pas accepter l'immigration sans accepter qu'il y ait des regards croisés," explique-t-il au HuffPost. En d'autres termes, il faut assumer les mots. "Sur le terrain, ceux que j'ai rencontré se disent 'petits blancs'. Il y a une spontanéité du langage chez les plus pauvres ou chez les jeunes que l'on ne retrouve pas dans les médias."

De la race en France

À l'heure où certaines personnalités politiques agitent opportunément le spectre d'un "racisme anti-blanc", Aymeric Patricot entend davantage témoigner de la richesse de ces regards, au-delà de la haine et du ressentiment.

Politiquement incorrect? C'est pourtant aux États-Unis qu'il est allé chercher l'inspiration. En témoigne cette citation en exergue de l'ouvrage, extraite d'un discours de Barack Obama devenu célèbre, De la race en Amérique: "La plupart des Américains de la classe ouvrière et de la classe moyenne blanche n'ont pas l'impression d'avoir été spécialement favorisés par leur appartenance raciale."

Nombre de Français blancs pourraient en dire autant, ce qui n'implique pas de nier les discriminations et le racisme dont peuvent être victimes les populations issues de l'immigration. Mais en France, ce discours est difficilement tenable. En cause? Un paradoxe: "les Blancs sont considérés comme majoritaires, tout en n'ayant d'existence qu'incertaine et même précaire. Un élément neutre, décidément, dont on ne peut rien dire, et dont on n'a le droit de rien dire."

Mépris

La figure du petit blanc apparaît dès lors comme oubliée par les politiques et notamment par le Parti socialiste. À cet égard les années 1980 marquent un tournant. "La gauche renonce alors à lutter contre le chômage, tourne le dos à l'économie pour investir le sociétal," analyse l'auteur. Le coup de grâce sera porté par une note du think tank Terra Nova, proche du PS.

Effondrement démographique de l'électorat ouvrier, divorce des valeurs entre un monde ouvrier fragilisé et une "Nouvelle France", le programme est clair: pour gagner, le PS doit aller chercher les voix de la "France de demain", "plus jeune, plus diverse, plus féminisée". "Rejetés par la gauche, mais aussi par la droite parce qu'ils sont trop pauvres, le FN rafle le marché électoral des petits blancs," explique Aymeric Patricot.

Mais les petits blancs ne se sentiraient donc pas si petits sans le mépris des "nantis", ces grands blancs qui, ne voulant pas leur ressembler, les mettent à distance, au risque d'aboutir à une forme de racisme inversé.

"Ces Blancs déchus ont pourtant le mérite de donner bonne conscience à ceux qui les rejettent: ces derniers donnent en effet des gages de leur éminente hauteur de vue. Ils prouvent même leur absence de racisme. Ce faisant, ils suscitent cependant une nouvelle forme de racisme dans la mesure où ce Blanc misérable, figé dans son archaïsme, est si distinct d'eux que sa nature n'a plus rien à voir avec la leur."

Symétries

Mis à l'index par les élites, décriés de toute part, déchus de leur humanité, les petits Blancs s'imposent, à leur corps défendant, comme les récipiendaires d'une rancoeur postcoloniale qui les place du côté des oppresseurs. "Ils représentent ceux des Blancs que l'on voit, ceux des Blancs à qui l'on peut s'adresser et que l'on considère, en dépit de leur modestie sociale, comme détenant les clés d'un système qui vous humilie."

Perçus à tort ou à raison comme "le fond du peuple français", ils symbolisent la colonisation tout en proposant une figure symétrique de l'échec. Alors que le petit Blanc est stupéfait de se découvrir "aussi pauvre que les plus pauvres", "de même le Français d'origine immigrée se trouve étonné de constater qu'il existe des Blancs aussi peu diplômés que lui, aussi isolés socialement, en souffrance aussi manifeste." Double mépris.

Mais cette symétrie peut aussi être source d'une connivence qui témoignerait davantage d'une solidarité de situations, que de classe. Grand Blancs et petits Blancs se fuient alors que petits Blancs et immigrés peuvent s'identifier. Voilà comment le "rappeur sous testostérone" Booba rend un hommage inattendu au chanteur Renaud, figure culturelle du petit Blanc s'il en est. "On se serait attendu à ce qu'il préfère Gainsbourg, sexuel et clinquant," écrit Patricot, "non, Booba se sent plus proche du petit Blanc que du dandy."

Considération

Ce qu'il ressort de ces portraits autant que de la réflexion de l'auteur, c'est avant tout l'absence cruelle de considération pour ces petits Blancs. Damnés de l'époque, leur malédiction est bien d'être blanc, et donc de faire partie d'une majorité dans laquelle ils perdent "tout trait identifiable".

La situation du petit Blanc s'impose alors comme l'exact inverse du Juif tel que le définissait Jean-Paul Sartre: "Le Juif de Sartre reste juif en dépit de ses inlassables efforts pour se fondre dans la masse," écrit l'auteur, "le Blanc d'aujourd'hui reste anonyme dans un vaste ensemble en dépit d'une expérience qui lui rappelle, chaque jour, à quel point il est particulier."
Et c'est sans doute ce qui explique pourquoi le petit Blanc penche du côté des adeptes de la pensée magique, de ceux qui instrumentalisent son sentiment d'appartenir à une communauté qui exclurait ceux qui le renvoient à sa propre condition. D'où, peut-être, la nécessité de nommer et donc d'accepter de voir une réalité qui sans cela demeurerait silencieuse, contiendrait sa rancoeur, au risque qu'elle n'explose dans la haine.
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