La littérature sous caféine


La mort ordinaire dans les rues de Paris



Il y a quelques jours, moment de stupeur et d'émotion devant une chapelle ardente, à deux pas de l'église du métro Jourdain. Une Sdf qui squattait le même matelas depuis des années venait de nous quitter. Mimi, victime d'un arrêt cardiaque à 57 ans... Les gens l'avaient plutôt évitée, de son vivant. Constamment ivre, elle n'avait fait qu'apostropher les passants pour leur demander des cigarettes. Ses amies d'infortune étaient parfois plus agressives, mais non moins touchantes. Elle avait fait partie du décor. Nous l'avions croisée tous les jours et nous nous étions faits à sa présence. Quelques personnes ont éclaté en sanglots devant les bougies... Nous savions que l'histoire finirait de cette façon, et j'imagine que tout le monde ou presque a ressenti une grande impuissance, en même temps qu'une grande tristesse.

Hasard des calendriers, et au risque de paraître futile en bifurquant vers la littérature, je finissais le même jour un roman de Simenon, Maigret et le clochard, que j'avais décidé de lire depuis que j'avais appris qu'il était considéré par certains comme le mieux écrit de l'auteur. C'est un petit livre agréable, racontant une enquête à propos d'un clochard qu'on a tenté de noyer, près du pont Marie. Les atmosphères se mêlent, sur fond de désespoir ordinaire et de rivalités familiales. Ce n'est pas le style qui m'a plu, au demeurant fort simple, mais bien la justesse et la force des sentiments dont la peinture est tout juste esquissée. Cela m'a rappelé l'un des "romans américains" de Simenon, lu l'année dernière, tout imprégné de vapeurs alcoolisées - et je préfère, je crois, les drames familiaux de Simenon à ses romans de format policier.

A propos de style, j'ai remarqué une curieuse particularité chez Simenon : dans la plupart des phrases réclamant le passé simple, parce qu'elles décrivent des actions ponctuelles, Simenon préfère l'utilisation de l'imparfait. Après deux cents pages, je n'ai toujours pas compris l'intérêt de cette pratique - Simenon cherchait-il à créer comme une sorte de poésie de la suspension des actes brefs ?

Un joli paragraphe établissant sans doute un parallèle implicite entre le travail de l'enquêteur et celui du romancier:

"Maigret parlait rarement à sa femme d'une enquête en cours. Le plus souvent, d'ailleurs, il n'en discutait pas avec ses plus proches collaborateurs à qui il se contentait de donner des instructions. Cela tenait à sa façon de travailler, d'essayer de comprendre, de s'imprégner petit à petit de la vie de gens qu'il ne connaissait pas la veille." (page 107)

COMMENTAIRES

1. Le mercredi 30 novembre 2011 à 13:24, par christian

billet émouvant, ils sont de plus en plus nombreux les femmes et les hommes qui dépérissent lentement dans nos rues

2. Le mercredi 30 novembre 2011 à 13:43, par A-Laure B.

Je suis contente de lire tes mots. Des mots de quelqu'un de plus concret pour moi que ceux des habitants du quartier.
Je suis rentrée jeudi soir, un camion de pompiers sur le trottoir. Un attroupement de personnes assistant au massage cardiaque qu'un pompier était en train de pratiquer. Je n'ai pas cherché à voir laquelle des deux SDF de ce matelas était confiée à ses soins, mais je m'imaginais bien de quelle personne il s'agissait (sa comparse étant moins souvent là). J'ai d'abord été choqué et écœurée de voir les riverains s'arrêter. Tourner la tête, je comprends... mais s'arrêter. J'ai été en colère aussi. Ce n'était pas maintenant qu'elle avait besoin de présence humaine. Et par la suite, je me suis dit que mourir seule n'était pas non plus une bonne chose et que peut-être ces personnes avaient été un rempart contre l'ultime solitude. Peut-être qu'ils ont été poussé par l'impuissance ou la culpabilité... Je ne sais pas bien...
Pour moi, cette femme était une figure locale, depuis le temps que j'habite le quartier. Je lui ai donné quelques cigarettes, à défaut de quelques pièces. Elle me touchait bien davantage que sa copine, volontiers agressive et hurlante, un rien flippante. Elle semblait toujours ailleurs, mais pas nécessairement saoule, un peu rêveuse et désœuvrée, attendant quelque chose, peut-être... Je n'ai pas toujours dis bonjour, parce que je n'avais pas toujours le courage de répondre à ses demandes. Je n'ai pourtant pas occulté son existence. Que faire ? Ils sont tant dans le quartier et toutes ces vies sur le trottoir ne peuvent laisser indifférents. Mais l'impuissance prend souvent le pas sur l'élan...
Quand je suis repassée, et que j'ai vu son matelas disparu, les fleurs, les mots, les bougies à sa place, je n'y ai pas cru. J'avais entendu un peu plus haut sur le chemin la sirène des pompiers. Bêtement je m'étais que si elle avait succombé, ils n'auraient pas branché la sirène...
Depuis, je pense beaucoup à elle. Il est étrange de voir comment des gens que l'on ne connaît mais croise souvent prennent une place dans sa tête et comment leur disparition nous affecte d'une façon ou d'une autre...

Je n'ai pas lu ce Simenon.
Je suis en train de lire ton autoportrait...

3. Le mercredi 30 novembre 2011 à 19:50, par aymeric

Oui, il y a quelque chose d'avilissant dans cette attitude consistant à s'arrêter pour observer le spectacle d'un corps que l'on emporte... Surtout si l'on ne connaissait pas la personne. Et encore davantage si l'on voit de qui il s'agissait ! Et pourtant, je comprends cette fascination. Il y a une forme de stupeur, d'hypnotisme. On ne peut sans doute pas la réduire à du simple voyeurisme - même s'il entre pour une bonne part dans ce comportement.

Je repensais au sentiment d'impuissance... C'est terrible à dire, mais il y a des gens qu'on peut aider, et d'autres pour lesquels cela s'avère plus difficile... Cette femme, pour autant que j'aie pu l'observer, me semblait déjà partie. Il était évident qu'elle vivait une sorte de suicide lent, irrévocable. Sur ce blog j'ai parlé, l'année dernière, d'un homme que je croisais parfois à la Courneuve, hébété, et qui m'avait l'air de sombrer. Ce qui me rendait particulièrement triste, c'est qu'il avait l'air de pouvoir encore être sauvé... Combien de fois j'ai failli m'arrêter pour lui parler. Mais la peur du ridicule, la peur du refus, l'hésitation, l'envie d'arriver à l'heure en cours m'ont retenu. J'en ai un peu honte

4. Le jeudi 1 décembre 2011 à 12:31, par Anne-Laure

J'ai toujours trouvé choquante, moi aussi, cette façon qu'on les gens de s'arrêter pour admirer un triste spectacle. Moi aussi, je suis parfois tentée de le faire, mais je me retiens. Sur la route, les badauds, plus que l'accident, font souvent durer les embouteillages.
Pourtant, cet été, un homme est mort sur la plage. Pendant que certains tentaient de pratiquer un massage cardiaque, la vie continuait tout autour, à tel point que j'aurais pu ne pas m'apercevoir de ce qui était en cours.
J'étais triste pour cet homme que je n'avais jamais vu.
Et troublée par le silence ou plutôt l'absence de bruit supplémentaire qui entourait son départ.
J'ai réalisé que l'on pouvait partir en silence, même au milieu de la foule. Ça semblait à la fois tragique et d'une grande banalité.

5. Le jeudi 1 décembre 2011 à 12:57, par aymeric

en même temps, comment faire autrement ?... Faudrait-il que la foule toute entière quitte la plage ?... Mais peut-être le faudrait-il, effectivement...
dans le même genre d'anecdote, il y avait ces corps d'africains échoués sur une plage italienne, à qq mètres de personnes qui restaient là à bronzer. D'autant plus perturbant que, pour le coup, la foule n'était pas nombreuse et qu'on ne pouvait pas mettre cette indifférence sur le compte de l'ignorance...

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