Yann Moix a souvent la dent dure, voire l'insulte facile, quand il parle des livres dans sa chronique du Figaro Littéraire. Cette semaine, il égratigne gentiment Autoportrait du professeur... Il admet mettre la moyenne à l'opuscule, ce qui, de sa part, équivaut à un éloge. Je reproduis ci-dessous l'article en question (je me permets d'ajouter quelques alinéas). J'apporterai quelques objections très bientôt - sachant qu'au fond, je suis assez d'accord avec ce qu'il écrit, titre de l'article compris !

Les trouillards noirs de la République

On écrit mal, souvent, sur l'école: les élèves, les préaux, les différents crachats. Les pupitres tagués, la malédiction d'enseigner. Transmettre aux autres renvoie à soi - la peur du ridicule, de la cuistrerie, de l'imposture. La terreur, aussi, de paraître intolérant ou raciste (ne jamais prononcer le mot de « race », cela va sans dire, et pourtant Obama l'a fait ; lui préférer le mot « ethnie »). Savoir, face aux parterres d'origines variées, définir ce que signifie « la France » sans vexer ni exclure. Tenter, via Césaire qui tombe à pic, dè réfléchir (sans trembler ni s'excuser) au concept, tellement complexe, d'identité : et si l'identité n'était pas exactement ce qui se trouve sur la carte éponyme ? Être professeur, cet art de marcher sur des oeufs, et les crânes de ces oeufs. Avoir de l'autorité, ce n'est jamais la même chose qu'être autoritaire : mais comment obtient-on le respect ? On ne renvoie pas les élèves : qui s'en occuperait hors de la classe ? Les surveillants ne sont-ils pas en nombre insuffisant ? Être professeur, c'est s'inscrire sur un îlot solitaire, perdu dans un drôle d'océan : la peur existe, de se faire dévorer par ces ados semblables aux requins qui guettent. Rien n'est plus terrifiant, sur cette planète inconnue munie d'une cour bruyante et de quelques salles en lambeaux, qu'un adolescent. Une complicité (pas une complicité de collabo, une sincère complicité, générationnelle) s'établit, ici, entre le jeune prof et ses élèves : par le rap. «Je voyais dans mes classes les visages de ceux à qui ces textes étaient destinés, de ceux qui vivaient dans leur chair chacun des mots soufflés sur platine, de ceux mêmes qui râpaient d'ores et déjà dans leur chambre, le soir, pour reprendre le flambeau de leurs aînés. » Adolescents entre eux ; mais un jour, l'école rendra le professeur adulte : il est inadmissible d'accepter les responsabilités, de passer des devoirs au devoir. De passer, cette fois, et pour toujours, de l'autre côté. "

Aymeric Patricot écrit simplement ; il rend une copie digne , et claire, un petit rapport sans faute d'orthographe morale. C'est du bon travail, je mets la moyenne. Pour la vision, on ira chercher Péguy, Daudet, Vallès. Et José Lezama Lima ! Je vous recommande, pour l'été, les scènes d'école de Paradise (1967). Il manque à Patricot la folie : mais peut-on encore enseigner par le délire et la subversion ? Débouler dans les classes avec Céline et Gombrowicz, Kafka et Lautréamont, saint Paul, le Talmud, Artaud, Bloy, plutôt qu'avec le génial mais trop inévitable Molière ?

L'auteur déroute un peu : on ne pourrait, jusqu'à la fin des temps, qu'être condamné à répéter, en boucle, les réflexes passés. Enseigner, ce n'est pas faire apprendre, ni même faire connaître : c'est faire comprendre ; et même, c'est transmettre non le savoir, mais la transmission elle-même. Petit opuscule agréable, gentillet, honnête, qu'on prêtera aux amis concernés, bien que nous ayons l'habitude, désobligeante, de ne fréquenter point les professeurs. Être cancre, ce fut une carrière pour nous ; un devoir - et surtout, une manière de destin. Pour le reste, nous laissons à ces valeureux hussards noirs, désormais trouillards noirs, de la République, le respect que nous leur devons ; mais avec cette ironie légère qui autrefois les admirait beaucoup, qui maintenant les méprise un peu. Amen."


Yann Moix, Le Figaro Littéraire, 16 juin 2011.