La littérature sous caféine


Journaux d'écrivains : jusqu'où peuvent aller, légalement, les révélations ?


Gimme shelter - The Rolling Stones par musiclivesat

(Vidéo : Gimme Shelter, l'une des chansons les plus impressionnantes des Rolling Stones...)

Poursuivant ma découverte des journaux, je lis les deux volumes de celui de Matthieu Galey, éditeur et critique, disparu jeune (52 ans). C'est un journal moins obsessionnel que beaucoup d'autres, car davantage composé de portraits, d'anecdotes, de souvenirs de voyage (donnant lieu à de nombreuses belles pages, tour à tour satiriques, élégiaques, nostalgiques...) que d'évocations de tourments personnels.

Le plaisir est grand, bien sûr, de découvrir la vie du "milieu des lettres", ses grandeurs et ses mesquineries, d'autant plus que Matthieu Galey pose sur toute chose un regard à la fois ironique et tendre. La plupart du temps, il se contente de décrire les manoeuvres et les coups bas sans vraiment les juger. On découvre une Yourcenar mégalomane et prétentieuse, un Robbe-Grillet fanfaron, une Sarraute enjouée... Galey réserve des piques à quelques oeuvres, notamment celle de Sartre, qu'il estime à plusieurs reprises devoir être "dégonflée" par rapport à celle d'autres auteurs plus modestes, d'apparence mais plus profondes (comme Jules Renard).

A propos de ces anecdotes sur le milieu des lettres, je me demande d'ailleurs quelle est la législation : quelqu'un se retrouvant dans ces pages, annoncées comme autobiographique, peut-il porter plainte (que les pages en question soient diffamatoires ou non) ? A-t-on le droit de refuser d'apparaître dans un tel livre ? Les descendants d'un auteur disparu peuvent-ils à leur tour refuser que ce dernier soit évoqué ? Galey en égratigne beaucoup, des "fausses valeurs littéraires", et j'imagine les grincements de dents que la parution des deux volumes de son journal ont pu provoquer...

COMMENTAIRES

1. Le vendredi 1 avril 2011 à 22:18, par JMM

Intéressantes questions mais un peu dangereuses à entendre; c'est comme si vous donniez à certains législateurs mal intentionnés l'occasion de vous retirer ces livres-là des mains (et des nôtres!)

2. Le samedi 2 avril 2011 à 18:40, par aymeric

C'est un risque à prendre ! :)
Cela pourrait nous concerner dans le sens inverse, si l'on peut dire : comment réagir lorsqu'on trouve certains de nos propos, qu'on aurait aimés confidentiels, dans le récit d'un écrivain ? N'est on pas en droit de se plaindre, effectivement ?

Angot a été concernée par ce genre d'affaire, récemment: une personne s'est plainte d'être mise en scène dans son dernier roman en date. Le pb, ici, c'est que le nom était maquillé, et qu'il s'agissait d'un roman... La position de cette personne me semble difficilement défendable - ou alors, ce serait effrayant pour l'avenir de la littérature. La question des autobiographies est différent, me semble-t-il : pour le coup, les gens ne sont même pas maquillés en personnages...

3. Le samedi 2 avril 2011 à 20:56, par JMM

Cela arrive régulièrement. Si on est en droit de se plaindre, il y a des conséquences à assumer qu'il vaut peut-être mieux, quand on se sent le centre d'un récit à cléfs, ne plas clamer sur tous les toits que "la clé, c'est moi", surtout si le portrait n'est pas flatteur.

J'ai, par exemple, toujours reçu "Rois et Reine", le film d'Arnaud Desplechin, comme une excellente fiction avant que Marianne Denicourt ne vienne dire qu'elle avait largement inspiré le personnage incarné par Emmanuelle Devos et depuis, si belle soit elle, j'aurai sans doute envie de changer de trottoir si je croisais Denicourt dans la rue.

4. Le samedi 2 avril 2011 à 21:19, par aymeric

parfaitement d'accord ! on a tout intérêt à rester discret ! surtout que porter plainte ajoute encore au ridicule... On veut sauver son image auprès de qq proches, et on la ruine auprès d'un public bcp plus large ! :)

5. Le dimanche 3 avril 2011 à 11:23, par aymeric

Je commence les "souvenirs d'égotisme", de stendhal, et le livre commence par cette note à l'éditeur : "A n'imprimer que dix ans au moins après mon départ par délicatesse pour les personnes nommées, cependant les deux tiers sont mortes dès aujourd'hui."
"délicatesse..." : stendhal était bien conscient de l'effet que pouvaient faire ses écrits, lorsqu'ils évoquaient des personnes vivantes, et s'efforçait à une certaine pudeur...

6. Le dimanche 3 avril 2011 à 16:19, par JMM

Le journal d'Anaïs Nin, aussi, est sensiblement différent maintenant qu'il n'est plus expurgé...

Maintenant, si des gens qui se sentent concernés n'attendent pas pour réagir, c'est peut-être par désir inconscient de s'attribuer en partie la "paternité" de l'œuvre de quelqu'un d'autre?

7. Le dimanche 3 avril 2011 à 22:42, par aymeric

oui, c'est assez flatteur, après tout, de se retrouver dans le livre d'un autre... Je ne sais pas si certains poussent ce plaisir-là jusqu'à aimer se voir détester par des auteurs célèbres...
La Route, de Kerouac... La publication de la version non expurgée, l'année dernière, est-elle aussi liée au fait que les années ont passé et qu'elle devienne plus acceptable ?

8. Le lundi 4 avril 2011 à 00:27, par JMM

Elle est disponible en anglais depuis 2007, cette version.

C'est peut-être d'abord une question toute bête sur la nature révélée homosexuelle de certaines aventures de Cassidy — Un aspect qu'on est déjà prêt à accepter chez Burroughs mais pê moins chez Kerouac.

9. Le lundi 4 avril 2011 à 01:05, par JMM

*ou plutôt chez le personnage de Moriarty (ce grand héros contre-culturel) chez Kerouac, hein —

10. Le lundi 4 avril 2011 à 09:11, par aymeric

La route : quinze ans que je l'ai lu ! encore un livre à relire, pour rafraîchir quelque peu ma mémoire...
C'est fou, ça, qu'on purge un livre pour épargner la réputation de l'auteur lui-même ! Les actes de censure proviennent de sources qu'on ne soupçonne pas toujours !

11. Le lundi 4 avril 2011 à 11:54, par Hélène

ce dont je me souviens dans ce journal, c'est la "charge" sur Jouhandeau (son couple ) et sur Chardonne (où alors me trompe-je, car cette lecture est ancienne).

En tout état de cause, c'est grâce a ce journal que j'ai lu Jouhandeau...(dont j'ignorais tout a l'époque).

Quant à la publications des journaux : ils obéissent aux même règles légales que la presse, d’où parfois certaine expurgions, voire le remplacement par des initiales.

Il y a quelques exemple célèbres (Rezvani a subi cela contre Claude Lanzmann, Simenon aussi dans ses mémoires, contre son ex-femme).

Je suis assez friande des diaristes du 19eme (je me délecte à petite doses des frères Goncourt).

Sinon, sur l’approche littéraire du journal, l’introduction de je ne sais plus qui dans l’édition pléiade du journal de GIDE est passionnante

12. Le lundi 4 avril 2011 à 12:28, par aymeric

Dans ces journaux, les portraits d'autres auteurs, souvent, démythifient sérieusement certaines figures d'écrivains... On ne peut plus les lire de la même manière ! Galey égratigne beaucoup Yourcenar, dans ce volume II, bien qu'il ait édité avec elle un livre d'entretiens...
Je me suis lancé dans Les souvenirs d'égotisme, de Stendhal, et pour l'instant je reste sur ma faim : pas du tout l'ampleur de Chateaubriand, par exemple... Mais il faut que je finisse

13. Le jeudi 7 avril 2011 à 09:09, par Ariane

A propos du journal des frères Goncourt, Edmond avait demandé à ce qu'il soit publié intégralement après sa mort par les soins de l'académie fondée pour la remise du prix (des extraits étaient parus de son vivant). Les membres se firent tirer l'oreille, tant les propos sur des personnalités avaient de quoi leur attirer plaintes et procès. Une première version très expurgée parut avec retard, une nouvelle édition plus complète fut envisagée, repoussée par la 2e guerre et finalement ce n'est qu'en 1989 qu'est parue la première édition complète dans la collection Bouquin et très bien annotée. Edmond était mort depuis plus de cent ans.
Je conseille aussi en Bouquin les lettres de Balzac à Mme Hanska qui sont une sorte de journal puisque Balzac racontait ses journées à sa maîtresse qui vivait à des milliers de kilomètres. On apprend beaucoup de choses sur son travail, ses méthodes d'écriture, ses rapports avec les éditeurs, ses opinions sur ses contemporains, etc... Un document exceptionnel que Mme Hanska, devenue Mme Balzac faillit détruire, moins par soucis de protection de la vie privée que par manque d'intérêt pour ces lettres qu'elle avait déjà lues.

14. Le jeudi 7 avril 2011 à 14:24, par aymeric

Tout cela est passionnant ! J'ai très peu lu de recueil de lettres pour l'instant - celles de Sartre au Castor, celles de Colette à sa fille... Je vais aller voir celles de Balzac, alors... Celles de Flaubert passent pour un modèle du genre, si je ne me trompe ?

15. Le jeudi 7 avril 2011 à 17:51, par Ariane

Flaubert c'est vraiment génial ! je les préfère presque à ses romans car il écrit librement. Celles adressées à Louise Colet, sa maîtresse permettent de suivre la rédaction de Mme Bovary puisqu'il lui raconte ses journées de labeur. Il corrige aussi ses poèmes Louise Colet taquinait la muse sans grand génie. Il y a aussi ses lettres avec George Sand qui sont un intéressant échange entre écrivains pourtant très différents.
La correspondance de Flaubert fait je crois 5 volumes en Pléiade mais il existe en folio un gros volume présentant un beau choix.
J'aime aussi les lettres de Beauvoir à Nelson Algreen, où le castor est une femme passionnée.
Je ne connais que très peu Colette et ses lettres à sa fille mais elles ont l'air belles si je me fie aux quelques extraits lus. Colette a -t-elle d'autre correspondant privilégié à qui elle aurait beaucoup écrit ?

16. Le jeudi 7 avril 2011 à 22:07, par aymeric

je suis très admiratif de la plume de Beauvoir, et aussi de son sens du bonheur et de l'énergie. Quelle volonté ! Quelle aisance, quelle fluidité dans l'expression ! Et pourtant, dans ses lettres à Algreen, je ne peux pas m'empêcher de voir une contradiction avec ses théories féministes... Elle qui appelait la femme à sortir des carcans des clichés - celui de la femme sentimentale, notamment - elle se comporte en véritable midinette ! (attitude contre laquelle je n'ai rien, cependant)

(et puis le journal de Matthieu galey la présente sous des traits assez peu sympathiques...)

Flaubert, il faut vraiment que je lise sa correspondance ! (elle fait partie des piles de livres à lire !)

quant à colette, je n'ai pas lu d'autres lettres d'elle... Mais je suppose qu'elles sont nombreuses !

17. Le vendredi 8 avril 2011 à 10:09, par Ariane

J'aime aussi les volumes de mémoires de Beauvoir, en effet, elle a de l'énergie dans le style, elle raconte très bien, sans pose, avec netteté et honnêteté et même souvent une certaine modestie.
J'avoue aimer aussi la midinette qu'elle peut être avec Algreen... elle laisse parler la femme amoureuse qu'elle est aussi, bien loin de certaines féministes plus actuelles qui en appellent à la vengeance du "sexe faible" et se posent contre les hommes, voulant exercer sur eux une domination, comme une revanche.
j'ai entendu parlé de Matthieu Galey mais sans rien avoir lu. Dans le même genre, je crois, il y a les volumes du journal de Jacques Brenner dans lequel il porte un regard assez incisif sur le milieu littéraire.

18. Le vendredi 8 avril 2011 à 11:26, par aymeric

Oui, on m'a parlé aussi de Jacques Brener, il est prévu dans mon programme ! :)
Décidément, la vie d'un lecteur ressemble bien souvent à celle d'un archiviste ou d'un fonctionnaire de la littérature ! Comment se constituer une solide culture littéraire sans une organisation digne d'une campagne militaire ? :)

A propos de Beauvoir, moi aussi j'aime la voir se transformer en midinette ! simplement, ça relativise singulièrement ses prises de position, dans Le Deuxième Sexe, sur ce qu'elle appelle "le cliché de la femme amoureuse" (qu'elle condamne assez vertement)

19. Le lundi 11 avril 2011 à 22:50, par Ariane

A une époque Stendhal s'était constitué des programmes de lecture et voulait entraîner sa soeur Pauline dans ce programme militaire, mais malheureusement elle ne pouvait pas suivre.
Parfois, je pense à tous les livres que je ne lirais pas et qui aurait pu changer ma vision de la vie, de la littérature., etc... Cela vous arrive ?
Bon, je remets mon képi de lectrice.

20. Le mardi 12 avril 2011 à 07:49, par aymeric

Je balance entre deux sentiments: la culpabilité de ne pas lire assez (tant de classiques que je n'aurai peut-être pas le temps de lire, tant d'autres en partie déjà oublié) et l'angoisse de voir ma vie engloutie dans les livres.... La connaissance d'un classique vaut-elle les choses qu'elle nous a empêché de vivre ? :)

21. Le mardi 12 avril 2011 à 16:03, par Ariane

Grande question en effet... Parfois, je me dis que les heureux hasards de la vie feront que nous tomberons sur tous les livres importants pour nous et que ceux que nous ne lirons pas, ne nous auraient rien apporté vraiment de plus.
Bon, c'est optimiste peut-être mais en effet, on ne peut passer non plus son temps dans la lecture et ainsi se couper du monde extérieur.
L'expérience de la vie d'ailleurs nous aide je crois à comprendre des livres, on ne lit pas pareil adolescent, que vingt ou trente ans plus tard. Peut-être la fréquentation de jeunes lecteurs est-elle rafraîchissante, de ce point de vue ?

22. Le jeudi 14 avril 2011 à 12:02, par aymeric

Oui, j'ai toujours trouvé que les "jeunes lecteurs" avaient une lecture rafraîchissante parce qu'ils ne s'encombraient d'aucune doctrine, d'aucun jugement moral... Lecture vierge, d'une certaine manière. Ces lecteurs-là osent souligner des faiblesses dans les textes que d'autres lecteurs, plus mûr, n'osent relever !
Pas de visière idéologique, pas de prétention, pas de prudence morale...

En même temps, bien sûr, certains textes leur restent inaccessibles et puis on devient sensible à trente ans à des enjeux qu'on ne devinait même pas à seize!

23. Le lundi 18 avril 2011 à 23:21, par JMM

"Programme de lecture", cette expression revient autour de moi plus ou moins régulièrement. Or, bien que lecteur boulimique de mon état, je n'ai jamais su exactement en quoi cela consistait! Une simple pile de livres à écouler? Un horaire? Un ratio minima et quotidien de pages à traverser?

Je serais très curieux de savoir votre version.

24. Le mercredi 20 avril 2011 à 20:23, par aymeric

euh... oui ! un mélange de tout ça à la fois! dans mon cas, ca pourrait être décrit comme : des piles de livres un peu partout dans l'appart, un minimum d'un ou deux livres par semaine, l'exigence de varier classiques et contemporains, etc... En fait de programme, c'est plutôt chaotique !!
(et, plus récemment, l'envie de vraiment finir la plupart des livres que j'apprécie...)

25. Le samedi 23 avril 2011 à 18:43, par JMM

C'est donc ça! M'en doutais. Ça sonne tout simplement plus sérieux que de dire "bordel".

Ici chez nous pareil. Veiller à ce que la pile comporte : 1 ou 2 pavés pour l'année (ex : Infinite Jest, Against the Day), 1 ou 2 recueils de nouvelles, 1 livre de poésie, 1 ou 2 romans de longueur moyenne (préf. 1 classique et 1 moderne), et un de ces genres de livres qu'il est indifférent de finir parce qu'on n'arrête pas de continuer de les lire (= des journaux, les Essais de Montaigne). Mélanger le tout selon ce qui vous capte (et ce qui vous tombe des mains de temps à autre par indisposition temporaire). Et voilà le "programme"...

26. Le mardi 26 avril 2011 à 11:32, par aymeric

Oui, et j'imagine que c'est à peu près la même chose pour tous ceux qui lisent !
Et c'est vrai que le "pavé" est finalement un genre en soi : en général, un livre qu'on lit en plusieurs fois (voire, qu'on ne finit jamais), mais auquel on tient parce qu'il a un côté monstrueux, dans lequel on peut se perdre !

27. Le vendredi 20 mai 2011 à 14:27, par gustave

j'arrive un peu tard dans la discussion ! Je voudrais poser la question dans un autre sens. Je pense aux biographies non autorisées, qui fleurissent de plus en plus. Je n'arrive pas à comprendre comment de tels livres peuvent voir le jour, du vivant de ceux qui en sont l'objet, et sans leur accord. C'est un mystère !

28. Le vendredi 20 mai 2011 à 17:01, par aymeric

je ne m'étais jamais posé la question, mais c'est vrai qu'il y a quelque chose de difficilement supportable à voir sa vie étalée, contre son accord... On a le droit de réclamer des dommages et intérêts pour des photos d'ordre privé, quid des "écrits d'ordre privé" ? Cependant que fait-on des personnes publiques ? pourquoi ne pourrait-on pas lire des biographies de ces personnes-là, biographies qui ne relèvent souvent que de synthèses d'articles publiés tout au long de la vie des intéressés ?

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