Littérature sur l'école (3)

Dans la série "témoignages sur le terrain", je viens d'entamer un livre qui se distingue très nettement par la qualité de son écriture, sa profondeur et son pouvoir horrifique: Requiem pour un émeutier, de Christian Cogné (Actes Sud, Septembre 2010) - sous-titré "La naissance d'un tiers monde de l'éducation", expression à laquelle je souscris parfaitement.

L'auteur commence le livre par deux pages d'évocation de sa propre jeunesse, deux pages bouleversantes au cours desquelles il décrit son séjour traumatisant dans "L'Ecole du plein air", une maison de correction qui ne disait pas son nom. Bien sûr, cela change le regard que le lecteur portera sur les chapitres qui suivent, expliquant sans doute l'étonnante persévérance de l'auteur, par la suite, dans son métier de professeur.

"Au quartier du Moulin-Vert, sur le plateau de Vitry-sur-Seine, il constata que la maison de correction avait depuis longtemps fermé ses portes. Seul, l'enfant de la N7 (il l'appellera aussi "le petite émeutier") donnait des coups de pied contre un grillage invisible. Une force l'empêchait de le rejoindre ; il lui tourna le dos et ne revint que trente années plus tard..."

On a droit ensuite à toutes les figures obligées de ce genre de livre, mais avec une force qui me paraît difficilement égalable en la matière.

Sur la question des violences que subissent les professeurs, ici en SEGPA ou en lycée professionnel (des évocations d'une violence tellement hallucinante qu'il me paraît presque difficile d'y croire si l'on ne s'est pas déjà penché sur le sujet):

"Quand les premiers coups furent frappés contre la porte de ma classe, je me rendis compte que tout ce beau monde était venu pour me faire la peau. Je mis le verrou. Les garçons à l'intérieur devinrent complètement hystériques. Ils hurlaient qu'il y avait un autre accès par la porte de secours. Je la verrouillai également. Mais les coups redoublés eurent bientôt raison des vis qui menaçaient de sauter une à une. Les garçons de plus en plus excités encourageaient les assaillants : "Il ne reste plus que deux vis. Plus qu'une... Ouais !" En proie à la panique, je pourrai une table contre chaque battant. En vain, celui de l'entrée finit par céder à grand fracas et je me retrouvai acculé contre le tableau avec la pointe d'un cran d'arrêt sur la gorge. "Bouge pas, bouge pas, ou j'te crève", hurlait une jeune fille qui appuyait la lame contre ma carotide." (page 21)

Sur la démisssion d'une partie du système :

" Que savaient-ils, ces profs, du lycée professionnel, pour y envoyer des jeunes qui n'en avaient jamais entendu parler, sinon en termes évoquant davantage une punition qu'une formation ? (...) Parce que le vrai problème de l'Education nationale, au fond, reste de ne pas savoir quoi faire des jeunes en grande difficulté ; elle, dont la mission, se réclamant de Jules Ferry, consiste à vaincre "la plus redoutable des inégalités, l'inégalité d'éducation." " (page 46)

Sur les prises de conscience, les sursauts de révolte du corps enseignant ; mais aussi sur les écrivains médiocres qui daubent sur la banlieue sans forcément la connaître :

"Un écrivain, qui vient en banlieue dans les écoles parler de ses livres, s'inspirant du rapport Obin, écrira un roman où il est question de la réalité sordide des cités : retour à la barbarie, profs battus dans les collèges, dhihad urbain, barbus assassins, violeurs, etc. L'apocalypse, pas moins !" (page 105)

Sur l'émotion des retrouvailles avec ces élèves auxquels quelques cours ont apporté de la lumière, malgré tout:

"Il se mit à rire. "Vous vous souvenez... ces nouvelles que nous avions écrites ? Enfin... on ne savait plus très bien à la fin qui les écrivait... Je repense quelquefois à l'écroulement de la tour. Nous étions à la fois entre quatre murs et dehors. Devant un tas immense de gravats. J'ai l'impression que c'est à partir de là que nos chemins... je veux dire ceux des élèves de la classe se sont ouverts. - Le mien aussi, Anton, crois-moi !" (page 93)

J'ai lu ce livre tenu par un sentiment perpétuel de révolte et par une sincère admiration pour cet homme chevronné, ce professeur courageux doublé d'un véritable auteur. Il y a quelque chose de terrifiant dans le chantier qui s'offre à nous pour rénover cette école qui prend l'eau de toutes parts. Mais il y a quelques personnalités admirables qui donnent envie d'espérer, parfois.