La littérature sous caféine


Dérapage ethnico-centré d'un génie (Steinbeck et les Indiens d'Amérique)


A l'est d'Eden - Trailer
envoyé par enricogay. - Court métrage, documentaire et bande annonce.

John Steinbeck, le génial auteur américain des Raisins de la Colère ou Des souris et des hommes, Prix Nobel de Littérature, est peu soupçonnable a priori de racisme, d'occidentalo-centrisme ou même de condescendance pour la victime, le faible ou l'opprimé (ses Raisons de la colère passent pour l'une des plus vibrantes dénonciations de l'injustice économique).

Il y a pourtant dans le chapitre inaugural de sa merveilleuse somme romanesque A l'Est d'Eden (l'histoire épique de deux familles de paysans californiens, rejouant à leur manière le mythe d'Abel et de Cain) un paragraphe pour le moins surprenant. Traçant à grands traits l'histoire de la Californie sur plus d'un siècle, l'auteur évoque en des termes peu amènes le peuple indien :

"Telle était la longue vallée de la rivière Salinas. Son histoire était celle de tout le pays. Il y avait d'abord eu des Indiens, mais d'une race dégénérée, sans énergie, incapables d'inventer ou de cultiver, se nourrissant de pucerons, de sauterelles et de coquillages, trop paresseux pour chasser ou pêcher, mangeant ce qui se présentait, ne cultivant pas et broyant des glands en guise de farine. Leurs guerres mêmes n'étaient que pitoyables pantomimes." (A l'Est d'Edan, Livre de Poche, page 10)

Quelle surprise que ce paragraphe dans un roman pourtant habité par la compassion, le sentiment de fatalité tragique, l'effroi devant la méchanceté ! (L'un des personnages principaux, Adam, est d'une douceur confinant à la naïveté). Nous avons vraiment changé d'époque ! L'auteur se donne-t-il ici l'excuse de se retrancher derrière la voix du narrateur ? Celui-ci me semble largement inspiré de l'auteur lui-même... Même le plus sinistre des "droitistes extrêmes" ne se permettrait sans doute pas ce genre de développement "ethnico-méprisant" aujourd'hui, ou bien serait conscient de son caractère inconvenant. Je n'ai pourtant rien trouvé d'équivalent dans les centaines d'autres pages de Steinbeck qu'il m'ait été donné de lire...

COMMENTAIRES

1. Le jeudi 19 août 2010 à 15:14, par hélène

Je ne perçois pas du tout ce passage comme toi....Outre le fait que l'ère du politiquement correct (souvent soûlant) n'existait pas à cette époque, il me semble qu'il fait plutôt une description d'un peuple à bout de souffle, ce qui se justifie peut être dans le récit (mais je ne me souviens pas de ce passage dans ce livre lu il y a très, très longtemps…après avoir vu le film (infidèle) avec James Dean ).
Dans de littérature de voyages et d’aventures, tu retrouve souvent ce types de passage (en relisant Monfreid, voire Jack London, il me semble qu’on pourrait trouver l’équivalent).

2. Le jeudi 19 août 2010 à 15:41, par aymeric

Oui, tu as peut-être raison... C'est le mot "dégéréné" qui m'a surpris, et puis la dernière phrase, qui m'a semblé méprisante. Peut-être ne cherche-t-il qu'à faire un constat. C'est un paragraphe qui ne m'avait pas frappé non plus sur le coup, mais j'entame une seconde lecture du livre, plus attentive, et du coup les détails m'apparaissent avec plus de relief
J'avais trouvé génial le film avec James Dean. Mais il n'adaptait en fait que la quatrième partie du livre... J'ai par ailleurs appris qu'ils prévoyaient une nouvelle adaptation hollywoodienne pour 2011 !

3. Le jeudi 19 août 2010 à 17:38, par mathieu

Les Indiens n'apparaissent pas du tout dans le film si mes souvenirs sont bons. on oublie que dans les westerns les Indiens sont vraiment les salauds à qui il faut faire la peau

4. Le samedi 21 août 2010 à 15:57, par sophie

Je dois dire qu'ici, en Australie, le discours est similaire au sujet des Aborigènes. J'essaye de comprendre qui ils sont et comment ils vivent, on me répond toujours, ils sont "inadaptés". Ici comme aux Etats-Unis, les Blancs sont arrivés et ont imposé leur loi. Les natifs ont dû s'y soumettre. Après ce n'est qu'incompréhension et incompatibilité. Qui a raison, qui a tort?

5. Le samedi 21 août 2010 à 16:56, par aymeric

Il y a un an,j'ai effectivement rencontré des Australiens qui me tenaient un discours extrêmement violent sur les aborigènes, du genre: "ils ne foutent rien, ils reçoivent les allocs, picolent et foutent le bordel..." Je n'ai même pas osé leur répondre qu'ils avaient subi, tout de même, rien de moins qu'une éradication de leur culture et le vol pur et simple de leurs territoires ! Mais le dialogue n'était pas possible Autre anecdote: pendant deux semaines je n'ai rencontré que des gens adorables, sauf un chauffeur de bus, aborigène, étonnamnent désagréable et agressif... Le moins qu'on puisse dire, c'est que la question des aborigènes en australie n'est pas la plus apaisée qui soit !

6. Le samedi 28 août 2010 à 09:20, par manue

ah le fameux mythe du sauvage. un livre tres interressant sur la vision du "sauvage" et de ses croyances, est Shamans through time, de Jeremy Narby (beaucoup plus interressant que son premier livre sur l'ayuasca). C'est une collection de textes ethnologiques depuis 500 ans. les textes changent a travers les siecles. c'est bien la vision de l'homme dit "civilize" qui change avec le temps. le sauvage, lui, demeure le meme, jusqu'a ce que...

je n'ai jamais lue Steinbeck, je ne peux donc commenter sur son texte. le mot "degenere" est le seul qui me fais reagir. vivant depuis plusieurs annees, chez un peuple que certains pourraient appeler "sauvage", ici, dans le royaume des nuages, dans l'himalaya qui a inspire tant de mythes aux premiers occidentaux venue jusqu'ici, je suis confrontee tous les jours a cette diference de cultures. le silence du sauvage face aux grandes questions existentielles, peut etre un repos doux, autant qu'une torture intellectuelle. la encore, nous sommes face a un paradoxe de l'esprit. ego quand tu nous tiens!

bien sur, mon ego pourrait ecrire des tartines de critiques semblables aux texte de Steinbeck, mais ce serait trop facile. en plus, je n'y trouve aucun interet reel. si le sauvage mange des sauterelles, l'homme dit moderne, va au supermarche pour sa nourriture. il n'y a aucune diference entre les 2, les 2 juste vivent dans un environement specifique. de nommer la non cultivation une forme de paresse montre juste une parfaite incomprehension de la nature du sauvage. pourquoi cultiver quand tout est a portee de main? comme me repete mon ami nepalais quand nous parlons de "progres", il dit juste "no need". un argument difficile a debattre. car apres tout, cela contient une certaine sagesse.

ce que j'observe vraiment chez le "sauvage", est ce que je nomerais la naissance de la conscience individuelle, pour le meilleur et pour le pire. c'est une naissance toute aussi fascinante que triste. comme une poussee naturelle de la conscience humaine qui n'a rien a voir avec la culture, religion, ou aucune de ces modes passageres, mais plutot juste le fruit d'une evolution biologique, juste comme toute plante ou autre forme de vie.

au passage je me fais Tristes Tropiques de Mr C Levi Strauss, un livre sublime que je me fais au compte goutte, pour le savourer le plus longtemps possible. une pensee si raffinee, qu'elle me rapelle pourquoi j'aime parfois utiliser ma cervelle.

la pensee moderne change continuellement, se cherchant, elle remue tout sur son passage. le sauvage reste eternel, inchangable, et c'est bien cela qui continuera toujours de fasciner la pensee moderne et instable. le sauvage, c'est le fou du tarot. le commencement et la fin.
tant qu'il y aura des "sauvages", avant qu'ils soient tous au zoo...et apres on s'inventera d'autre "sauvages". Un certain etat de purete, et d'indomptabilite, a l'oppose de la pensee concrete et materielle de l'homme moderne courant apres son ame perdue dans la rationalite, autant que le sauvage est perdue dans son ignorance du monde, dans sa naivete enfantine totale mais bien heureuse. jusqu'a ce que la graine de la conscience individuelle fasse son apparition...et pousse la feuille du "moi" source de tout reel bonheur et malheur.

comme chante une chanson populaire nepalaise: "tous les petits chemins arrivent un jour a une grande route"

7. Le lundi 30 août 2010 à 18:29, par aymeric

Oui, la conscience se développant comme une sorte de fleur sur l'organisme...
cela me fait irristiblement penser aux Fleurs du Mal de Baudelaire, et au sens que l'on peut donner au titre de ce recueil: la conscience, douloureuse et belle, qui fleurit sur nos fautes et nos faiblesses...

8. Le jeudi 2 septembre 2010 à 11:59, par manue

ah tiens. j'ai justement ce livre dans ma chambre, laisser derriere par un des nombreux touristes francais passant par ici. je vais essayer d'en lire quelques pages.
fautes et faiblesses, mais n'oublions pas les superbes royaumes ou l'esprit peut aussi vagabonder. tout l'art des hommes, les cathedrales et temples, villes, peintures, livres, musiques et autres sublimations de l'etre humain. pour le meilleur et pour le pire, c'est aussi ca la conscience, toutes ses futilites.

"time pass" comme on dit ici, et faut bien l'occuper d'une maniere ou d'une autre ce temps qui semble passer.

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