La littérature sous caféine


Despentes, semi-maudite

J’ai découvert Virginie Despentes à Tokyo. J’habitais là-bas en 2000, j’y avais croisé un homme qui tractait dans la rue au cri de : « Venez voir le film interdit en France ! Le film interdit en France ! » Il s’agissait de « Baise-moi », et j’ai trouvé sympathique qu’une œuvre s’attire à ce point la censure.

Depuis, j’ai toujours eu plaisir à lire Despentes. Elle a le chic pour mettre les pieds dans le plat. Dans son dernier roman, « Cher connard », elle a l’intelligence de donner la parole non pas seulement à une victime de harcèlement, ce qui finirait par être banal, mais à l’agresseur, présenté comme un homme perdu.

Mais comme il est loin, le temps de la censure… Despentes est devenue la rebelle attitrée du système. Elle s’affiche en couvertures, truste les têtes de gondole, trône dans les jurys, adapte ses textes à l’écran… L’ensemble des forces économiques et culturelles du pays la porte au pinacle, et personne ou presque ne semble relever le paradoxe. Tant mieux pour elle… Ça n’est pas donné à tout le monde de pouvoir à la fois jeter des pavés et recevoir des médailles. En revanche, on a le droit de garder sa préférence pour les auteurs maudits – je veux dire, les maudits véritables.

Signalons au passage sa critique de Céline dans « Cher connard », accusé par un personnage d’être un « galocheur de puissants », ce qui ne manque pas de sel… 😊

« Céline singeait le langage prolétaire en vue d’obtenir un Goncourt, c’est-à-dire qu’il offrait aux salonards le prolo tel qu’ils l’imaginent. (…) J’aime Calaferte et je méprise Céline. Je ne crois pas que tous les artistes aient vocation à être respectables. Mais certains sont repêchés malgré leur mauvaise conduite. Alors que Calaferte a été censuré, c’est tout. On l’a oublié. Ils n’ont pas eu le droit au même traitement. L’un écrivait pour les prolétaires, depuis le prolétariat. L’autre était un galocheur de puissants, frustré dans sa révérence par un contrecoup historique qu’il avait mal évalué. Je méprise Céline. Je devrais en parler, dans un livre. Je manque d’ennemis, en ce moment. » (p 142)


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