J’ai déjà relevé chez Hugo et Houellebecq deux paragraphes d’inspiration similaire, proposant un résumé sans concession de l’existence – le premier dans « Les Misérables », le second dans « anéantir ». Je trouve dans « La poursuite de l’idéal » une troisième occurrence de ce véritable exercice de style. Comme chez ses prédécesseurs, ce n’est pas très gai mais je trouve ça drôle :

« Et si l’on comprenait tous, se disait-il, vers trente ans, que l’amitié relève du mythe, l’amour de l’illusion, et la sympathie du mirage ? Partout des ombres et des fantasmes, créés par la peur du noir. Et le voilà ramené à bébé qui chiale, bébé qui avait tout pressenti, à deux mois, de la séparation ontologique, de l’inévitable solitude de la condition humaine. Plus tard, à l’école, au lycée, à la fac, des groupes se forment, des amitiés éclosent ; puis des couples qui compensent, par l’intensité romantique, ce qu’ils perdent en sorties, en camaraderie. Un jour, la bulle éclate, écrivait-il dans son journal, l’iridescence s’évanouit, il ne reste plus qu’un petit être promis à la mort, dans l’indifférence générale. Quand il vit trop longtemps, ce petit être est rangé dans des mouroirs, on le mouche, on le lange, on l’essuie, on le divertit, puis on le jette. » (Gallimard, page 439)