Il y a deux façons de s’opposer au monde : lutter contre ses tendances délétères (racisme, sexisme, réchauffement climatique…), ou ironiser sur les ratés de ce même progressisme – en somme, vouloir changer le monde ou bien se moquer de cette volonté-là. Inutile de préciser que cette seconde manière vous voudra moins d’égards.

Malgré tout, depuis quelques années, c’est une véritable école littéraire qui paraît émerger, celle d’un certain mauvais esprit vis-à-vis de l’époque. Je pense à Marin de Viry qui, dans « L’Arche de Mésalliance » (Rocher, 2021), a des pages savoureuses sur le goût pour la culture classique. Je pense à Abel Quentin qui s’est attiré le succès avec sa dénonciation de la cancel culture dans son page turner « Le Voyant d’Etampes » (Observatoire, 2021). Et je pense à Patrice Jean qui, depuis plusieurs romans, et notamment « La poursuite de l’idéal » (Gallimard, 2021), exerce sa plume mélancolique et satirique sur toutes sortes de milieux, de figures médiatiques et de valeurs officielles, avec une efficacité redoutable. Renaissance des Hussards, en plus taquins ?

« La Famille ne présentait jamais ses excuses. Même quand elle avait tort, elle avait quand même raison. « Mieux vaut avoir tort avec Sartre que raison avec Aron », disait-on au temps de leurs joutes titanesques. Elle ne s’était pas excusée pour les chars de Budapest en 57, elle ne s’était pas excusée pour ses aveuglements successifs et elle ne le ferait jamais, et tout cela avait commencé à me gonfler, j’en avais ma claque de leurs grands barnums et de leur bigoterie et de leur morgue et de leurs fatwas et de leur grand-guignol et de leurs vapeurs et de leur cirque dégoûtant et de leur dureté et de leur plasticité, j’en avais ma claque et j’étais de plus en plus vieux et méfiant, mes inclinaisons allaient vers des esprits plus naïfs ou plus lucides, elles allaient vers Charles Péguy converti au catholicisme romain et fidèle au socialisme, à sa fraternité incandescente et non trafiquée… » (Le Voyant d’Etampes, p. 181)