Par voyeurisme, j’ai prolongé ma lecture de « La familia grande » de Camille Kouchner (2021) par le roman que sa mère, Evelyne Pisier, avait publié quelques années plus tôt, bien avant les aveux de son fils violé par Olivier Duhamel. « Une question d’âge » (Stock, 2005) est un roman terrifiant sur le thème de l’adoption ratée. Rien que pour ça, le livre m’a arraché des frissons d’horreur : quelles souffrances, de part et d’autre… C’en est presque invraisemblable. Mais on décrypte aussi dans le texte le drame de l’inceste à venir. Très vite, on comprend que le roman n’est qu’une autobiographie déguisée. On se prend au jeu des indices. Alors j’ai ressenti la même chose qu’avec un roman de Stephen King : de l’épouvante, littéralement, devant les refus de voir l’évidence et le gouffre de désespoir dans lequel s’enfonce cette femme.

Au fond, le plus pathétique n’est pas son alcoolisme, ni le recours à des passe-droits, ni la violence des rapports entre enfant et parents, mais l’incompréhension du mal-être de la fille adoptive alors même que tant d’indices nous sautent aux yeux. On dirait que la narratrice s’acharne à ne pas comprendre des signes toujours plus nombreux. Et, refermant le livre, on trouve difficile de ne pas en tirer la conclusion qu’Olivier Duhamel a pu faire d’autres victimes que le fameux Victor. L’auteure devient une sorte de monstre romanesque, tout entier dans la douleur et le déni. L’épouvante-réalité, voilà ce qui pourrait définir un genre nouveau !

« Nicole Réglisse [la directrice de la DDASS] nous prend un flagrant délit d’erreur. Nous avons oublié de fournir les témoignages de bonnes mœurs. La loi exige deux témoignages écrits. Une formalité essentielle. « Mais la DDASS ne les lira pas. Compte tenu de votre « situation sociale », vous ferez dire n’importe quoi à vos amis. » La remarque n’est pas fausse, pas très aimable non plus. Elle déplaît à Thierry [le nouveau mari]. Il n’aime pas que l’on se moque ni de lui ni des lois. De plus en plus nerveux il prend Nicole Réglisse en grippe. »