Tribune publiée sur le site de Marianne, le 16 juin 2020.

" Lorsque Donald Trump s’est fait élire, un présentateur afro-américain n’a pu retenir son émotion : il s’agissait d’un « whitelash », que l’on pourrait traduit par « contrecoup blanc ». En d’autres termes, il reprochait aux Blancs d’avoir majoritairement voté pour Trump afin de se venger d’Obama, et de la trop grande importance symbolique accordée aux minorités.

Quand les Gilets jaunes se sont soulevés en 2018, il m’a semblé que nous assistions à un équivalent français au phénomène du whitelash. Dans « La Révolte des Gaulois » (mars 2020), j’explique ainsi que la cécité de la plupart des sociologues et des hommes politiques à la question culturelle, sous des prétextes républicains nobles mais insuffisants, les avaient rendus souvent incapables de comprendre la profondeur de la révolte, qui ne consistait pas simplement en un ras-le-bol fiscal, mais en un soulèvement contre le mépris.

Emmanuel Macron lui-même y avait joué un rôle de premier ordre : il avait systématiquement opéré une distinction entre deux France, une France des banlieues parées de tous les atouts, et une France des « Gaulois réfractaires » dont il ne fallait pas attendre grand-chose. Il est d’ailleurs ironique qu’il se plaigne aujourd’hui de ce qu’on appelle la « racialisation des rapports sociaux »… S’est-il seulement rendu compte qu’il maniait des symboles de cet ordre-là, à peu près d’ailleurs comme l’ensemble de la classe politique ?

La répression contre les Gilets jaunes s’est ensuite révélée féroce. A cette occasion, on a cru découvrir un nouveau visage de la police : pour une fois, ce n’était pas contre les populations de banlieue qu’elle avait la main lourde, mais contre des populations moins métissées, pour ne pas dire à forte majorité blanche – tout le monde ou presque l’a reconnu. Un nouveau front paraissait s’ouvrir : le pouvoir central ne se considérait plus en lutte symbolique contre les « quartiers », mais également contre les « territoires » – que d’euphémismes ! A cet égard, banlieues et France périphériques, voire rurales, se découvraient un adversaire commun. Certes, elles restaient distinctes mais certains se sont pris à rêver d’une « convergence des luttes » contre un gouvernement considéré comme méprisant.

Curieusement, l’affaire Floyd suivie de la relance de l’affaire Traore ont remis au goût du jour l’idée d’une police essentiellement tournée contre la banlieue. La leçon des Gilets jaunes semble oubliée : la matraque de la police aurait une fâcheuse tendance à tomber sur le crâne de ceux qu’on appelle désormais les « racisés », c’est-à-dire ceux qui souffrent d’être perçus sous le prisme de la race. Le débat fait désormais rage : la police, et plus généralement l’ordre républicain, trahissent-ils des réflexes racistes ? Tout cela ne relève-t-il pas surtout de la question sociale, puisque les victimes de la police sont avant tout des pauvres ? N’y a-t-il pas danger à souffler sur les braises d’une improbable guerre des races ?

Quoi qu’il en soit, il est curieux de voir le gouvernement retomber dans la même partition symbolique qui a déjà causé tant de remous, quoi qu’il s’en défende. On ne l’a pas vu faiblir quand il s’est agi de réprimer les provinces débarquant à Paris, en revanche il se montre compréhensif – au moins dans les paroles – vis-à-vis de la douleur des victimes de la police en banlieue, suscitant d’ailleurs une colère singulière dans les rangs des gardiens de l’ordre. Voudrait-il relancer un nouveau whitelash qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Aux Etats-Unis, Trump est en train de rejouer la carte qui lui a déjà tellement servi, celle d’une majorité blanche qui souhaite qu’on l’entende… Le meilleur moyen de s’en sortir pour un parti libéral et démocrate comme se présente LREM n’est sûrement pas de faire appel aux mêmes réflexes que ceux de Trump ou de Biden, qui jouent de manière trop caricaturale un camp contre l’autre – Biden estimant qu’un Noir ne votant pas pour lui n’est pas vraiment noir. N’est-il pas temps de savoir s’adresser à chaque partie de la France sans paraître toujours préférer l’une ou l’autre ? N’est-il pas temps de proposer un projet commun ? N’est-il pas temps, par ailleurs, de faire toute sa place à la question raciale, puisqu’elle existe et qu’elle n’est pas réductible à la question sociale, mais de définir un juste milieu entre le rapport obsessionnel à la race et sa dénégation dans l’espace républicain ?