La littérature sous caféine


Les témoignages de rancoeur et de souffrance ("Les petits Blancs")

Me sera-t-il donné un jour d’écrire un livre qui suscite autant de réactions viscérales ? Des années après sa publication, « Les Petits Blancs » (2013) me vaut encore des messages du genre de celui que je reproduis ici. Certains lecteurs en seront scandalisés, mais ce courrier aurait très bien pu s’intégrer dans la série de témoignages que propose le livre. Ce dernier cherchait d’ailleurs à ouvrir autant que possible le spectre des réflexions sur le sujet – la pauvreté blanche dans un pays qui se métisse – et donc à accueillir toutes les sensibilités, des plus sombres aux plus heureuses.

Bien sûr, le livre n’avait pas pour ambition de cautionner le genre de paroles qui va suivre – il y eut de sérieux malentendus à ce propos – mais de noter le fait qu’elles existent et qu’il serait ridicule de les ignorer. Le pari était d’ouvrir les vannes d’un certain désespoir afin de le comprendre et, pourquoi pas, de commencer à l’exorciser. Le ressentiment, la haine sont des sentiments douloureux. En publiant « Les Petit Blancs » j’avais fait le choix de ne pas uniquement les condamner. N’y a-t-il pas quelque chose d’absurde, d’ailleurs, à condamner quelqu’un pour sa souffrance ?

« Bel effort sur "Les Petits Blancs", ça a été utile sur moi. Libérateur même. Merci. (…) Mon avis n'apportera rien de nouveau, j'en ai peur. En réalité, j'ai déjà beaucoup lu sur le sujet, et je suis donc trop « informé » pour être surprenant. Il suffit de surfer sur internet, sur twitter pour se rendre compte. Des milliers de petits blancs enragés, abandonnés, qui renouent avec la pratique du samizdat. Évidemment, beaucoup de violence, où cela s'arrêtera-t-il ? Je ne parle pas de haine, parce que si c'est de la haine rendue, ce n'est pas de la haine pure (contrairement à ce que sous-entend votre sous-titre). Je pense que la haine pure n'est provoquée par personne.

Justement, quand j'ai commencé à entrer dans la partie où vous retranscrivez les témoignages, j'étais comme aspiré par le livre. Impossible de lâcher, ça aurait pu durer des pages et des pages. C'est pour ça que je parle de libération. Je ressentais un sentiment curieux. Une fraternité retrouvée. Cette chape de plomb que l'immigration fait peser sur nombre de petits Blancs, qui divise, nous laisse tout ébaubis, personne n'en parle et d'autant moins quand on fréquente des milieux de gauche. Pourtant tout le monde la ressent et au moins depuis le collège. Pour moi, c'est LE tabou de ma génération. Moi comme d'autres, j'ai été victime de réflexions, brimades, moqueries, insultes racistes, jusqu'à l'agression physique (à plusieurs reprises...) Puis la fac, et j'ai oublié. Par la suite, j'ai travaillé dans le secteur social dans les quartiers Nord de Marseille et mon regard a changé à jamais. J'ai ressenti l'exclusion. On peut dire ce qu'on veut mais ce que j'ai appris c'est que les seuls qui veulent « vivre ensemble », ce sont les bobos. En réalité, personne ne se mélange. On est devant un problème très étrange, diffus, insaisissable. Et finalement, le communautarisme s'installe, bientôt la sécession ? La manière dont les minorités sont traitées par les médias, sacralisées, fait naître en moi un profond sentiment de dégoût et d'abandon. Un peu comme Laurent. Il y a aussi Jody dont l'indifférence m'a glacé. Le « petit Blanc » rappeur aussi, qui ne connaît pas sa propre culture (comment pourrait-il en être autrement?). Il ne faut pas dénigrer le phénomène de déculturation. Et j'ai déjà lu et entendu beaucoup de témoignages ! Dans votre livre, c'est peut-être le fait que vous ayez réécrit les témoignages qui fait que ça a marché plus fort. Je ne saurais pas dire. En tout cas, j'ai réalisé mieux que jamais que je faisais partie d'un groupe, que je n'étais pas seul. Au-delà même des problèmes générés par l'immigration (parce que le recours à l'explication par le social n'est pas vraiment fausse bien qu’incomplète), il y a un lien rompu. Quelque chose d'incohérent. On a été élevé dans les valeurs de la république et, je reviens au témoignage de Laurent, tout ça n'a plus de sens aujourd'hui. Tout a changé trop vite. Je suis né en 1984 et 34 ans plus tard, c'est un autre monde. Qui peut avaler ça ? Ou alors rien n'a changé, mais c'était du pipeau depuis le début... On se sent poussé vers le communautarisme. Communautarisme d'un côté, agressivité économique de l'autre... Mais sans savoir où aller. Et votre livre, d'une certaine manière répond à cette question.

Des comme moi, des comme Laurent, il y en a partout, éparpillés, cellules dormantes, incapables de se fédérer car éduqué selon un logiciel totalement étranger à cette conception de la vie. Finalement, la république qu'est-ce c’est ? Un système auquel on se donne corps et âme, quand il disparaît, il ne reste plus rien. Mille et unes réflexions comme celle-ci... Dans le désordre. Parfois, j'ai eu l'impression que vous donniez des gages : « la haine », « c'est plus compliqué que ça »... Alors qu'en fait, la situation n'est pas si complexe. D'ailleurs elle s'envenime, la situation. La terre réclame du sang, dit-on. On vit notre guerre. Larvée, invisible aux yeux de tous, minimisée, banalisée. Elle est pourtant là sous nos yeux et fait beaucoup de dégâts. À coup de propagande, de novlangue. (…)

Je me remets souvent en question du point de vue psychologique. J'essaie de faire la part des choses. De ne pas me laisser avoir, par ma tendance à la dépression. Laisser la dépression trop influer sur ma vision des choses. Mais quelle que soit la couleur qu'on donne à la réalité, les faits restent les faits. C'est un problème lié à la question de l'objectivité, ou du point de vue, forcément biaisé. J'ai l'impression d'halluciner mais, en fin de compte, je pense que je vois juste. Reste une question : combien de France s'affrontent ? S'ignorent ? Se provoquent ? Alors le danger c'est de se focaliser sur certains problèmes qu'on croit avoir identifiés comme cause première et de se dire que s'ils étaient réglés on serait au paradis (blanc ! Ahah !)... Bien sûr c'est un piège ! La cause première... pensez-vous... En tout cas votre livre m'a aidé à voir qui j'étais un peu plus. Et ça c'est pas mal. Voilà, pour mes réflexions mi-témoignage, mi-critique.... En toute honnêteté.
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