Une tribune sur le site du Figaro pour dire mon agacement à propos du traitement subi par mon livre, au regard de l'actualité.

"Ils ont bon dos, les petits Blancs !

En 2013, une journaliste d’un grand quotidien de référence m’appelait pour me dire tout le bien qu’elle pensait du livre Les petits Blancs. « Vous avez franchi le Rubicon », m’a-t-elle dit, signifiant que j’avais eu le cran de mettre des mots sur une réalité dont personne ne parlait, non pas forcément d’ailleurs pour prendre la défense de cette population mais pour aborder le thème, tout simplement. Le lendemain, elle me laissait un message pour m’annoncer que la rédaction faisait finalement le choix de ne pas en parler. Il était sous-entendu qu’une telle expression « faisait le jeu du Front national », selon la formule aujourd’hui consacrée.

Trois ans plus tard, le même quotidien publie un article de Guy Sorman à propos de la victoire de Trump intitulé : « La revanche des petits Blancs ». Je suppose que l’expression s’est banalisée et que l’auteur ne sait même pas qu’il existe un livre sur le sujet… Après tout, les rédactions évoluent vite, les idées aussi. L’actualité rend indispensable l’utilisation de mots que l’on trouvait gênants peu de temps auparavant. Malgré tout, l’épisode me paraît symptomatique.

Avant l’élection de Trump, la plupart des journaux dits sérieux se pinçaient effectivement le nez pour évoquer l’électorat potentiel du populiste américain, étouffant ceux qui pouvaient se contenter de les décrire et n’utilisant que les insultes et le mépris pour parler d’eux. Après l’élection, rien n’a vraiment changé. Certes, l’expression « petits Blancs » fait florès – je définis ces gens-là comme des « Blancs pauvres prenant conscience de leur couleur de peau dans un contexte de métissage ». On la lit dans une bonne moitié des articles consacrés à Trump. Mais elle est toujours utilisée avec des pincettes, et avec cet air de dégoût devant la saleté supposée de cette catégorie sociale. Après l’omerta, la diffamation : techniques que l’on n’imagine pourtant pas être l’apanage d’organes clés du dispositif libéral actuel.

Il est sans doute ridicule de parler des médias en général pour leur jeter l’opprobre. Mais il est certain que le gouffre entre une certaine sphère médiatique chic et le commun des mortels est devenu béant. Qu’on en juge par deux anecdotes. Tout d’abord, dès le lendemain de l’élection de Trump, le philosophe qui avait prédit le Non au Brexit puis le Non à Trump – un philosophe utilisant d’ailleurs l’expression de « petit Blancs » mais uniquement pour insulter – était invité sur le plateau de France Info pour livrer ses nouvelles analyses. Personne n’eut même l’idée de mettre en doute la pertinence de ses points de vue. Deux jours plus tard, ensuite, les mêmes journalistes s’effrayaient à l’idée du biais que les réseaux sociaux avaient pu produire dans la campagne électorale américaine. Un comble ! Le biais n’était-il pas précisément inscrit dans le système médiatique lui-même, aveuglé par son soutien massif, tout pétri de bonne foi, tout pétri d’arrogance, pour une Clinton qui a certes ses qualités mais qui, enfin, ne mérite sans doute pas que 90 % de la presse lui déclare son amour ?

Au fond, de nombreux médias ne croient plus en la démocratie… L’un des grands principes de celle-ci est à la fois la liberté des débats, dont on espère qu’il sortira quelque chose approchant de la vérité, et l’acceptation du processus électoral, dont les règles claires, acceptées par tous, garantissent la paix dans le pays. Qu’on s’entende bien : il ne s’agit pas ici de défendre Donald Trump lui-même, mais bien l’idée que, dans une démocratie plus fragile qu’on ne le croit souvent, il n’est d’aucune utilité d’insulter une partie si considérable des électeurs ni surtout de s’insurger contre le résultat d’un vote. Ceux que l’on pourrait blâmer, à la rigueur, ce sont tous ceux qui, jusqu’au dernier instant précédant le vote, se sont crus détenteurs d’une vérité sublime, trop lumineuse pour être soumise au jugement de qui que ce soit."